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I

Grand est le désordre des idées quand il s’agit de caractériser les Français sous le rapport ethnique. Les uns, ayant sans cesse à la bouche la « décadence latine », nous traitent de Latins ; les autres de Celtes, et on pourrait tout aussi bien, à ce compte, nous appeler des Germains. La vérité est que la France est une combinaison des trois élémens principaux auxquels, en Europe, se ramènent tous les autres. César, au début de ses Commentaires, distingue fort bien lui-même les trois groupes ethniques des Aquitains, des Celtes, des Belges. Quand Auguste divisa en trois provinces la Gallia nova, il conserva ces groupes, et la Gaule se partagea en une Aquitaine ibérique, en une Celtique centrale, en une Belgique où dominait l’élément galate et germain. Le plus ancien fonds de la population gauloise est un peuple brun au crâne allongé, parent des Ibères et appartenant au type « méditerranéen » des anthropologistes. Plus tard, le long de la chaîne des Alpes, pénètre un peuple brun nouveau, à tête très large, de petite taille, et dont certains représentans ont paru mongoloïdes : ce sont les Ligures. Par la même voie arrivent des Celtes, également brachycéphales et peut-être aussi d’origine asiatique. Enfin, pendant l’âge du fer, des conquérans descendent du Nord, grands et blonds, à tête allongée. C’est eux qui formèrent, en se mêlant aux Ibéro-Ligures et aux Celtes, le peuple gaulois connu des Romains. L’assise même de la population française fut ainsi constituée dès l’âge du fer. Plus tard, les nouvelles invasions germaniques, franque et normande, ne firent que renforcer l’élément grand et blond : elles refoulèrent le Celte pur dans la Bretagne, dans le Massif central, dans les Cévennes et les Alpes.

Selon M. d’Arbois de Jubainville, nous serions, pour la plupart, les descendans des peuples oubliés, Ibères et surtout Ligures, dont les Gaulois, nos « aïeux supposés », triomphèrent avant d’être eux-mêmes conquis par les Romains. Mais le savant professeur nous semble beaucoup trop méconnaître l’importance de l’élément Scandinave et germanique en Gaule. Parce que toute la cavalerie réunie par Vercingétorix pour la lutte suprême s’élevait seulement à 15 000 hommes, M. d’Arbois croit pouvoir en conclure que la caste conquérante, la caste vraiment « gauloise », ne montait qu’à 60 000 âmes et que le reste était Ibère ou Ligure. C’est pousser bien loin la témérité de l’induction. S’il en était ainsi, comment y aurait-il eu en Gaule tant de blonds dolichocéphales, qui ne pouvaient être ni Ibères, ni Ligures, ni