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avaient pour mission de punir de mort toute offense aux Saints ou à la religion.

Telle était la situation vers le milieu de 1857, quand la nouvelle se répandit dans l’Utah, que depuis le mois de juin, le gouvernement fédéral avait suspendu le service des dépêches entre le Territoire et les États de l’Est, et qu’un corps de l’armée des États-Unis était envoyé pour rappeler les Mormons au respect des lois établies et installer un gouverneur, que venait de nommer le président des États-Unis, Buchanan. Une effervescence considérable se manifesta aussitôt. Des meetings s’organisèrent, et, tandis que les uns ne parlaient de rien moins que de faire le vide devant l’ennemi, de brûler les villes, les villages, les fermes, et de fuir dans les montagnes, les autres, inspirés par Brigham Young, s’efforçaient de faire triompher les idées de résistance et de lutte à outrance.

Sur ces entrefaites, vers le commencement de septembre, une troupe d’environ 120 émigrans, hommes, femmes et enfans, qui avaient abandonné l’Arkansas pour aller chercher des terres plus fertiles en Californie et s’y établir, pénétrait dans l’Utah.

Jamais convoi mieux organisé n’avait franchi les Montagnes Rocheuses. Il se composait d’une trentaine de ces lourds chariots couverts d’une bâche en toile, attelés de six ou quelquefois de huit paires de bœufs, tels que les connaissent bien tous ceux qui ont parcouru les prairies. Les émigrans, pour la plupart, étaient des gens aisés et ils poussaient devant eux un troupeau de quatre à cinq cents têtes de bétail. Le bon ordre, depuis le premier jour, n’avait cessé de régner dans la colonne, qui faisait halte chaque dimanche, la journée étant consacrée au repos et à la prière dite par un ancien pasteur méthodiste qui faisait partie de la troupe. Les difficultés rencontrées n’avaient pas été trop grandes, mais la traversée des solitudes du Far-West avait durement éprouvé hommes et bêtes, partis depuis trois mois déjà; et en atteignant la région du lac Salé, les émigrans se disaient avec joie qu’ils allaient se trouver au milieu de gens de leur race et non seulement pouvoir donner un peu de repos à leurs animaux, mais aussi renouveler leurs provisions pour la longue route qui leur restait à parcourir.

S’arrêtant sur la rive droite du Jourdain, — qui amène dans le grand lac Salé les eaux du lac Utah, — ils y dressèrent leurs tentes, puis, quelques-uns se dirigèrent vers Salt Lake City, la capitale du Territoire, pour y acheter des vivres. A leur stupéfaction,