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le plus étroit et en célébrant jalousement, aux jours fixés et avec une magnificence vraiment royale, les cérémonies compliquées qu’ils prescrivent.

Quand il passe dans les avenues, au galop de ses quatre chevaux, les musulmans lèvent à peine la tête. Qu’est-il pour eux, sinon le représentant d’une race sujette? Le maharajah s’inquiète peu de ces mécontens impassibles, au sein de la fastueuse subordination que la domination anglaise lui impose. Rien ne vient troubler, d’ailleurs, les musulmans dans leur foi.

J’ai vu à Bangalore, et j’avais déjà vu à Pondichéry, se dérouler le cortège carnavalesque musulman du Moharom, où l’on aurait peine vraiment à reconnaître les pratiques sévères que le Coran exige des sectateurs de Mahomet. Pendant plusieurs jours c’était un défilé de masques plus ou moins effrayans, de tigres de carton aux rugissemens enroués, de visages terriblement peints ou plâtrés. A Pondichéry, la nuit, sous la lune, des chars immenses, inondés de lumière, circulaient lentement précédés de bêtes féroces gambadant, et de jeunes gens s’escrimant avec de longs bâtons. Par momens, le cortège s’arrêtait, et les fusées partaient au milieu des détonations.

Ces fêtes populaires du Moharom sont un sujet d’affliction pour les musulmans pieux. Ils rappellent à ceux qui s’y abandonnent, que ce mois est consacré au souvenir de la mort d’El-Hussein, le fils bien-aimé d’Ali et de Fatma. Les malheurs d’El-Hussein, les dangers qu’il courut dans le désert, sa fermeté, son courage invincible et sa piété à l’heure de la mort doivent être commémorés par les cœurs religieux. Les dix premiers jours du mois doivent être employés à la prière et à la récitation des stances qui racontent les aventures du saint héros, sa fuite de Médine et sa fin courageuse dans les plaines de Kerbala.

Plus d’une fois les notables musulmans ont invoqué l’intercession des autorités pour arriver à empêcher des divertissemens où ils voient une offense à leur culte, encore qu’ils aient lieu sous le couvert de l’islamisme. On n’a pu leur donner satisfaction ; c’eût été s’exposer à un soulèvement peut-être. Récemment, un musulman des plus distingués, à la Abeille du Moharom, s’attachait à montrer les Persans, qui sont chiites, célébrant la mémoire d’El-Hussein avec une piété profonde, alors que, dans l’Inde, elle est le prétexte de manifestations burlesques pour le moins.

Ce n’est pas seulement par les fêtes bruyantes du Moharom que les musulmans semblent s’écarter des prescriptions originaires du Coran. A l’instar des Hindous, ils se sont divisés en castes. Les matelassiers ont leur mosquée comme les blanchisseurs ont la leur. Parmi les négocians, des groupes rivaux ont leurs temples séparés