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et fatiguent de leurs incessantes compétitions l’administration qui n’en peut mais. Ces divisions se font jour jusque dans les écoles, où de bons vieillards à barbe blanche, qui ne connaissent que l’hindostani, expliquent aux jeunes garçons, dont ce sera plus tard tout le savoir, les beautés du Livre saint. Chaque mosquée voudrait avoir son école.

La caste musulmane la plus respectable, celle parmi laquelle la politique française a rencontré jadis et retrouverait maintenant, s’il en était besoin, le plus de sympathie, est celle des « cheiks ». Ceux que l’on désigne ainsi sont réputés descendre en droite ligne de Mahomet par Abou-Bekr et Omar. Ils sont sunnites. On les reconnaît aisément à leurs traits qui sont beaux et nobles, à leur attitude qui est fière, à leurs vêtemens qui sont amples.

Il s’est trouvé aussi parmi eux de grands ministres, des hommes d’Etat comme Salar Jung, qui fut pendant trente ans, de 1853 à 1882, le dewan du Nizam d’Hyderabad, et qui sut opposer aux empiétemens anglais une savante et habile résistance, tout en assurant à l’empire du Nizam la paix et la prospérité sous un bon gouvernement. Dans leur semi-indépendance, les États du Nizam sont tout ce qui reste de ce Deccan que la politique géniale de Dupleix avait fait nôtre, pour ainsi dire. Leurs dix millions d’habitans, répartis en dix-neuf districts, vivent sous la règle musulmane qui leur est douce. Il y a jusqu’à des parsis dans la haute administration. J’ai reçu un jour la visite d’un préfet ou collecteur du Nizam, homme des plus instruits et des plus distingués, qui portait le bonnet en cône tronqué des adorateurs du feu.

Le Nizam actuel se pare des noms et titres que voici : Meer Mahboud, Ali Khan, Bahadour, Fath Jung, Nizam oui doulah et Nizam oui moulk. Il professe personnellement à l’égard du résident anglais une réserve si marquée qu’elle pourrait être prise, assure-t-on, pour de l’aversion. A ce point que c’est à peine si, dans tout le cours de l’année, l’agent du gouvernement de la Reine-Impératrice peut être reçu une ou deux fois par le défiant et hautain souverain. Forte de 45 000 hommes, l’armée du Nizam est relativement bien exercée. Le ministre qui en a la haute direction est Mahomed Moyendine Khan, général studieux et appliqué.

J’ai gardé un vivant souvenir de la conversation agréable du ministre. Il était souffrant, voyageait dans le sud pour remettre sa santé, et ne cachait pas sa satisfaction de s’entretenir avec des Français. Nous passâmes peu d’instans ensemble, assez cependant pour fortifier en moi l’impression que les élémens musulmans ne seront peut-être pas à dédaigner le jour où la Russie, comme on lui en prête le dessein, voudra étendre son empire en Asie au détriment de la puissance britannique.