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l’avait très bien vu ; il leur opposait un argument fort ingénieux : « Je ne concevrais pas qu’une cellule formée spontanément et sans parens pût avoir une évolution, puisqu’elle n’aurait pas eu un état antérieur. »

Ainsi, Pasteur apparaît comme le vengeur et le gardien des droits de la vie. Il contribua à lui restituer un domaine d’où on l’avait indûment évincée ; dans ce domaine, il arrêta les téméraires qui croyaient déchirer le voile jeté sur les origines de la vie ; il prouva que ce voile demeurait entier, impénétrable. Contradiction bien significative et que nous ne saurions trop méditer : cet homme, qui fit reculer le mystère sur tant de points, ramena dans le monde plus de mystère puisqu’il y réintroduisit plus de vie ; et il y aura toujours quelque attache dernière par où ces deux mots seront inséparables. Il le reconnaissait hautement, il répondait d’avance à des assertions superficielles, lorsqu’il disait dans une circonstance solennelle : « Elles (les préoccupations de l’âme) me paraissent d’essence éternelle, parce que le mystère qui enveloppe l’univers et dont elles sont une émanation est lui-même éternel de sa nature. » — Pasteur nous éclaira comme ces lumières qu’on allume pour trouver la route dans la nuit, et qui font paraître la voûte du ciel d’autant plus obscure qu’elles sont plus brillantes, plus révélatrices de ce qui existe sur notre terre.

Avec une méthode « essentiellement positiviste », — il l’avouait loyalement, — et dont la force avait fait tout le succès du positivisme, il délogea ce dernier de positions qu’on croyait définitivement acquises. Il étendit et assura nos connaissances sur l’organisation de la matière ; du même coup, il battit en brèche le matérialisme, dirais-je, si je ne répugnais à l’emploi de ce mot anti-scientifique, équivoque, dangereux. Une certaine école, où l’on remplace volontiers les raisons par des injures, en a trop abusé contre de respectables savans. Imitons la réserve de Renan, qui disait finement : « Je ne me sers jamais de ces deux mots, spiritualisme et matérialisme. Le but du monde, c’est l’idée, mais je ne connais pas un cas où l’idée se soit produite sans matière ; je ne connais pas d’esprit pur ni d’œuvre d’esprit pur. Je ne sais pas bien si je suis spiritualiste ou matérialiste. » Tenons-nous-en à la définition irréprochable de Claude Bernard : « La matière n’engendre pas les phénomènes qu’elle manifeste ; elle ne fait absolument que donner aux phénomènes leurs conditions de manifestation. »

Ramenée à ces termes prudens, la leçon philosophique qui se dégage de toute l’œuvre de Pasteur offre une belle unité : dissymétrie moléculaire, actions vitales dans les organismes, fermentations, réfutation de la génération spontanée, atténuation