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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/96

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chef-d’œuvre, est assurément le fameux duo, que Rousseau jadis admirait tant. C’est ici que la comédie musicale a son centre ou son sommet. Du duel entre les deux personnages voici la passe décisive. Serpina attaque la première, à fond et tout droit : « Vous m’épouserez, je le vois à ces petits yeux fripons, voleurs, malins ; vous avez beau dire non, eux me font signe que si[1]. » Hardie jusqu’à l’impudence, la phrase est musicale autant qu’expressive ; elle chante et parle à la fois. Elle détache les mots à effet : furbi, ladri, malignetti. Tandis qu’elle escamote les : no, no, no, elle marque au contraire les : si, si, si, de notes brillantes. La riposte d’Uberto : « Signorina, v’ingannate !… Vous vous trompez, mademoiselle, » imite l’attaque : à la tonique répond la dominante ; c’est la modulation classique, par où la symétrie s’établit dans le duo. Puis de la première phrase une autre se déduit, non plus impérieuse, mais coquette, prompte à se parer d’un rien : d’une syncope qui l’avive, d’un éclat spirituellement emphatique, d’un rallentando qui l’alanguit. Avec une largeur, une finesse aussi dont la musique de ce temps offre peu d’exemples, les deux caractères se développent en s’opposant. Aux agaceries de Serpina, à l’insolence de sa jeune victoire, Uberto ne répond déjà plus qu’en grondant, par une sorte de ronron sénile, à la fois honteux et satisfait. Toujours mélodique, rythmé toujours, presque symphonique parfois, le duo longtemps se poursuit, et jusqu’à la fin, en dépit de libres épisodes, d’incidences exquises, l’alternative et le choc des no ! et des si ! lui donnent la précision un peu sèche et comme la rigueur logique d’une discussion.

Cinquante-trois ans après le duo de la Servante maîtresse, entre un maître également et non plus une servante, mais une soubrette, sur des si et des no qui se répondront de même, un autre duo se chantera. Oui, tout autre sera dans les Noces de Figaro le duo du comte avec Suzanne. Ici encore la femme commande et triomphe ; elle se moque, elle rit, et l’homme une fois de plus est sa dupe. Mais quelle différence ! Dès les premières mesures : Perche, crudel, fin’ora Fanni languir cosi ! quelle langueur en effet, au lieu de quelle vivacité ! « Languir », voilà bien le mot qui donne le ton, voilà bien le diapason sentimental de presque tout ce duo. M. Cherbuliez à propos des Noces justement parlait un jour des « enchantemens d’une musique qui fond le cœur ». En vérité, de Pergolèse à Mozart, quelque chose en

  1. Le conosco a quegli occhietti
    Furbi, ladri, malignetti,
    Che, sebben voi dite no,
    Pur accennano di si.