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musique s’est fondu. Ne nous opposez pas qu’une illusion nous abuse et que nous transportons dans la musique des nuances qui ne sont que littéraires. Littéraires, il est vrai qu’elles le sont d’abord, et c’est entre les deux sujets et les deux situations, entre les personnages de l’intermède italien et ceux de la comédie de Beaumarchais que préexistent les différences. Si verdissante, comme dit Figaro, que soit Suzon, elle est moins haute en couleur, elle a quelque chose de moins cru, ou de moins dru, que Serpina. Elle aussi veut se faire épouser, mais ce n’est pas par son maître. Sans compter que ce maître, le bel Almaviva, n’est point un bonhomme Cassandre, et que sous les grands marronniers, ce soir, Suzette serait moins à plaindre que ne le sera Serpina en l’alcôve de son barbon. Tout cela, les mots sans doute le disent les premiers ; mais en leur langage les notes le disent aussi. N’écoutons plus qu’elles ; oublions s’il se peut le théâtre, les personnages et jusqu’aux paroles. Nous entendrons encore les mêmes choses. Nous les entendrons en un sens moins précis peut-être et moins particulier, mais plus profond. Nous entendrons qu’il ne s’agit pas seulement ici de deux duos ou de deux comédies, mais de deux états ou de deux étapes de la sensibilité. Nous reconnaîtrons qu’un souffle tiède et d’une divine douceur a passé, et qu’il s’est insinué dans la musique, dans l’âme mystérieuse des sons, pour la renouveler et l’attendrir.


III

De cette douceur nouvelle, avant Mozart et chez Pergolèse déjà, nous allons trouver les prémices. Il y a dans l’œuvre du maître napolitain trois canzones où l’on voit en quelque sorte la mélodie de la Servante maîtresse se détendre et s’assouplir. La première dit ceci : « Toute peine, fût-ce la plus cruelle, cette âme affligée, désolée, la supporterait, si du moins elle caressait l’espérance de pouvoir se consoler. Mais, hélas ! tout espoir lui manque ; il n’y a moyen, il n’y a lieu de rien espérer[1]. » — Et de la seconde canzone voici le texte : « Si tu m’aimes, si tu soupires pour moi seule, gentil berger, je plains ton martyre et

  1. Ogni pena più spietata
    Soffriria quest’ alma afflitta,
    Desolata,
    Se godesse la speranza
    Di potersi consolar.
    Ma, ohime ! cade ogni speme,
    Non c’è luogo, non c’è vita,
    Non c’è modo di sperar !