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Les uns se sont voués à scruter la Nature :
Ils arrachent au fait qui meurt sa loi qui dure ;
L’œil de l’homme est en eux l’impérieux miroir
Des soleils monstrueux que nul vivant n’anime
Et des fermens de vie au foyer si minime
Qu’il fallut un Pasteur pour les apercevoir.

Ces pionniers font luire au-dessus de la foule,
Dont l’aveugle labeur se répète et s’écoule,
La Science unissant l’éternel au nouveau.
— Contre une égalité dont le joug rapetisse
D’autres font prévaloir librement la Justice,
Qui tient une balance et non pas un niveau.

Leur regard, non moins sûr et plus hardi, réclame
Tout l’intime univers, tout ce qu’on nomme l’âme.
Et l’obstiné secret du terrestre bonheur.
Sous l’éclat des soleils, éblouissans mirages,
Ils cherchent l’Être, auteur et fin de ces ouvrages,
Le grand semeur des cieux et leur grand moissonneur.

D’autres ont affronté la tâche aventureuse
D’explorer le tombeau que sans relâche creuse
Aux siècles entassés leur fossoyeur, l’oubli ;
D’épeler leur histoire écrite sur les pierres,
D’ouvrir patiemment les lèvres, les paupières,
Et l’antique linceul du monde enseveli.

D’autres, les plus aimés (car c’est une caresse
Que donne aux sens, au cœur leur œuvre enchanteresse)
Montrent que l’Art français, de la Nature épris,
En reçoit des leçons constamment rajeunies
Sans déserter le choix des rares harmonies
Qui font du Beau pour l’âme une forme sans prix.

Fiers d’un premier servage aux plus nobles modèles,
Ils en sont demeurés les affranchis fidèles.
L’Art novice est hardi, mais ce jeune étalon,
C’est moins en liberté qu’il achève sa grâce
Que sous un fort dompteur qui d’abord le ramasse
Pour le mieux enlever au signal du talon.