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publie la Deutsche Rundschau, plusieurs jugemens originaux sur les écrivains allemands d’il y a vingt-cinq ans ; et l’on y trouverait surtout des renseignemens curieux sur Goltfried Keller lui-même, ce vieux garçon maniaque et hargneux, habitué à considérer sa pipe et sa cruche de bière comme le centre du monde. Mais encore faut-il avoir la patience de rechercher ces quelques traits intéressans dans un épais fatras de détails oiseux, de fades complimens, et de plaisanteries massives et plates, dont une seule, en vérité, aurait largement suffi à faire connaître l’espèce.

Combien me paraît plus prudent et plus sage le parti que viennent de prendre, dans des circonstances pareilles, les parens et les amis d’un autre écrivain allemand, l’historien Henri de Sybel, mort, comme l’on sait, en août dernier ! Ils ont voulu, eux aussi, révéler au public la vie et le caractère de l’homme éminent qu’ils avaient connu ; et eux aussi se sont empressés de recueillir ses lettres, tous les documens intimes qu’ils ont pu trouver. Mais au bleu de publier pêle-mêle ces documens et ces lettres, ils les ont remis à l’un des élèves les plus distingués de Sybel, M. Paul Bailleu, qui s’est chargé de tirer de ces pièces une étude d’ensemble, à la fois biographique et critique, résumant d’un seul coup la carrière et l’œuvre de son maître défunt. Cette étude vient de paraître dans la Deutsche Rundschau : consciencieuse, solide, écrite avec un souci manifeste d’exactitude et d’impartialité, elle mérite, je crois, de nous retenir un instant.


Non pas que la figure ni la vie d’Henri de Sybel nous puissent rien offrir de bien original. L’historien qui vient de mourir n’était pas un homme de génie : il n’avait pas, comme son maître Léopold Ranke ou comme son rival M. de Treitschke, une de ces personnalités singulières et fortes qui s’imposent d’emblée à notre attention. Et point davantage que son esprit, sa longue vie ne nous présente la moindre trace d’aventures imprévues. Mais outre qu’avec tout cela il a laissé une œuvre considérable, et que son rôle dans l’évolution historique de son pays égale en importance celui des deux grands écrivains que je viens de nommer, c’est précisément à la simplicité de sa vie et, pour ainsi dire, à son manque de personnalité, qu’il doit de pouvoir nous apparaître comme le représentant typique d’une espèce tout entière de savans allemands : d’une espèce qui tend aujourd’hui à devenir plus rare, mais qui durant près d’un demi-siècle a rempli les universités, et exercé une influence décisive sur la vie intellectuelle et politique de l’Allemagne. Et il n’y a pas un des traits distinctifs de cette espèce mémorable qui ne se retrouve dans l’œuvre et dans la personne de M. de Sybel.

Tous ces traits peuvent d’ailleurs se résumer dans un seul, qui