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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/224

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consiste à concevoir la science non pas comme une recherche toute spéculative, mais comme un moyen d’action politique et patriotique. C’est de cette façon que Sybel a toujours conçu l’histoire, depuis ses thèses de doctorat jusqu’à cette Histoire de la fondation du nouvel Empire allemand où il travaillait encore quelques semaines avant de mourir. Le savant, chez lui, s’est toujours doublé d’un politicien ; et ce n’est pas sans raison que M. de Bismarck l’a naguère félicité d’avoir été « un de ses collaborateurs les plus précieux dans la grande œuvre nationale. »

Mais si personne peut-être parmi les savans allemands n’a collaboré à cette « grande œuvre » d’une façon plus ouverte, des centaines de collègues de M. de Sybel, dans les universités allemandes, se sont efforcés comme lui de mettre la science au service de la politique, employant la philosophie, la sociologie, le droit, et la philologie elle-même, à propager les thèses de l’unité germanique et de l’hégémonie de la Prusse. Il y a ou là, pendant cinquante ans, mais surtout dans l’intervalle des années 1K40 et 1870, toute une lente préparation de l’Allemagne à de nouvelles destinées. Et c’est le principal intérêt de l’étude de M. Bailleu, de nous faire voir à l’œuvre un des agens les plus actifs de ce grand mouvement de transformation de la conscience d’une race.

Henri de Sybel est né à Dusseldorf, le 2 décembre 1 SI 7, d’une vieille famille de pasteurs et de magistrats. Son père, d’abord procureur impérial sous la domination française, avait été ensuite anobli par le gouvernement prussien. C’était un homme intelligent et lettré, professant les idées politiques et religieuses les plus libérales, ce qui ne l’empêchait point de rester fidèlement dévoué au pouvoir qu’il servait. Sa maison était le lieu de réunion de tout ce qu’il y avait alors à Dusseldorf d’écrivains et d’artistes. Les peintres Schadow, Lessing et Schinner, le poète Immermann, le musicien Mendelssohn en étaient les hôtes assidus ; et c’est dans la société de ces hommes célèbres qu’Henri de Sybel a vécu ses premières années. Mais déjà les études historiques l’intéressaient plus que tout : il lisait l’Histoire romaine de Niebuhr, et se passionnait pour les écrits d’Edmond Burke, son premier maître, qui lui enseignait dès lors à considérer l’histoire comme une dépendance de la politique.

Son second maître fut, à l’Université de Berlin, le grand Léopold Ranke. Celui-là avait une tout autre façon de considérer l’histoire. Jamais peut-être un historien ne fut plus sincèrement, plus réellement impartial, ne voua plus passionnément sa vie à la seule recherche de