Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlaient chez eux, surtout dans les repas, qui étaient alors l’occasion ou le prétexte de toutes les réunions mondaines. Il y avait des gens qu’on n’invitait à dîner que parce qu’on les croyait bien renseignés. On nous les dépeint allant de maison en maison et racontant ce qu’ils savent, ou ce qu’ils inventent, au sujet des Parthes ou des Germains, l’éternel effroi de l’Empire ; ils n’ignorent rien, ils vous disent le nombre exact des hommes qui sont en armes sur les bords du Rhin ou du Danube ; puis, continuant à faire le tour du monde, ils s’occupent de l’état des récoltes en Égypte et en Afrique, ce qui intéressait beaucoup les Romains, qui tiraient de là leur subsistance. Ce n’étaient pas les hommes seuls qui se piquaient d’avoir de bonnes informations : Juvénal a tracé le portrait de la femme nouvelliste, qui serait, nous dit-il, la plus insupportable de toutes, s’il n’y avait pas la femme savante. On pense bien que, dans ces réunions, il n’était pas seulement question des affaires extérieures, et qu’on devait y parler beaucoup, ou plutôt y médire, de ce qu’on savait du Palatin : aussi étaient-elles encore plus étroitement surveillées que les conciliabules du forum. Du reste, on n’avait pas de peine à savoir ce qui s’y disait ; il n’était pas besoin d’y introduire des espions de métier, il y en avait de volontaires, les meilleurs de tous, parce qu’on ne pouvait pas s’en méfier. Comme les délateurs étaient sûrs de la faveur du prince et qu’ils héritaient d’une partie des biens de ceux qu’ils avaient fait condamner, il ne manquait jamais de gens qui allaient redire les propos qu’ils avaient entendus et accuser les causeurs imprudens devant l’empereur ou le sénat. Et cependant, quoiqu’il fût si dangereux de parler, on ne pouvait pas prendre sur soi de se taire. Rien ne put guérir cette société spirituelle et légère de la manie d’aiguiser des malices contre le maître et de répéter les méchans bruits qui couraient sur lui et sur les siens. Jamais il n’a tant circulé de fausses nouvelles qu’à ce moment où l’on se donnait tant de mal pour les empêcher de se répandre Les précautions mêmes qu’on prenait contre elles leur donnaient plus d’importance. Comment n’auraient-elles pas semblé sérieuses et vraisemblables quand on voyait des gens qui risquaient leur vie pour les redire ? Aussi les ouvrages de Tacite en sont-ils remplis, et même quand il les juge futiles et indignes de toute créance, il ne peut s’empêcher de les reproduire.

Voilà de quelle manière les gens qui vivaient à Rome étaient informés, avec plus ou moins d’exactitude, des nouvelles politiques. Comment les apprenaient ceux qui se trouvaient en province ? Ils ne pouvaient guère les savoir que par les lettres de leurs amis ; aussi les correspondances entre Rome et les diverses parties de l’Empire étaient-elles très actives. De là toute une littérature était