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puis, chaque fois qu’il survenait quelque événement à Rome ou dans les provinces, on le notait en quelques mots. C’était un moyen de mettre les citoyens au courant de leurs affaires. Les paysans, qui faisaient partie des tribus urbaines, les plus nombreuses et les plus honnêtes de toutes, ne venant à Rome qu’une fois par semaine, et n’entendant parler de rien le reste du temps, avaient plus besoin d’être renseignés que les autres. La nundine venue, on nous dit qu’ils se lèvent de grand matin ; ils font sommairement leur toilette (Varron prétend qu’ils ne se rasaient que tous les huit jours) ; ils prennent la toge et se mettent en route. Je me les figure arrivant dans la ville comme leurs descendans, les contadini d’aujourd’hui, qu’on voit se réunir le dimanche près du Vélabre, vêtus de leurs habits de fête. Il est probable que la première visite des paysans anciens était pour la table blanche du grand pontife. Plusieurs d’entre eux avaient leurs enfans à l’armée, tous étaient fort préoccupés des affaires de leur pays ; il leur plaisait d’apprendre que tout allait bien dans les légions, qu’on avait pris la ville qu’on assiégeait et que l’armée ennemie était en fuite. Alors, l’esprit libre et joyeux, ils allaient entendre, à l’assemblée populaire, les discours enflammés des tribuns, ou voter, au Champ de Mars, pour les magistrats amis du peuple. La table du grand pontife restait à sa place toute l’année. On la détachait à la fin de décembre et on la gardait dans les archives. Plus tard, on s’avisa que toutes ces planches, qui contenaient tant de souvenirs du passé, pouvaient avoir un grand intérêt. On les réunit, on les publia sous le titre d’Annales maximi : ce fut le commencement de l’histoire romaine.

Il n’est guère douteux que les procès-verbaux des assemblées du sénat et du peuple ne fussent communiqués au public de la même façon que les Grandes Annales. Nous ne savons pas où on les affichait ; mais ce devait être au forum, et dans un endroit très fréquenté. La foule a dû s’attrouper souvent pour les lire, surtout dans les momens d’émotion populaire. On y venait voir ce qui s’était passé dans les assemblées, où l’on n’avait pas assisté, et prendre une idée des discours qu’on n’avait pas entendus. C’est pour cela qu’ils étaient faits.

Mais ce qui en fit surtout la fortune, c’est que, dès le premier jour, ils furent employés à un usage auquel assurément César n’avait pas songé. On vient de voir qu’il était très difficile d’être au courant de ce qui se passait à Rome quand on en était éloigné. Les amis, dérangés par des occupations imprévues, écrivaient moins régulièrement qu’ils n’avaient promis de le faire ; les esclaves, les affranchis ne connaissaient pas toujours le meilleur moyen d’être bien renseignés. On prit donc l’habitude de s’adresser à des gens qui