Varsovie, qui appartenait alors à la Prusse, et il y menait joyeuse vie avec une bande d’amis des arts et du plaisir. Ce n’était que concerts, théâtres, bals masqués, parties de campagne et de cabaret. La défaite d’Iéna trouva Hoffmann et ses compagnons ordinaires dans un ouragan d’amusemens, et, chose incroyable si elle n’était affirmée par un témoin oculaire, ils n’en furent pas dérangés, n’eurent même pas la curiosité d’ouvrir un journal, jugeant impossible, à la distance où était Iéna, que le contre-coup des événemens arrivât jusqu’à eux, et c’était tout ce qu’il leur fallait. Hoffmann aurait cru déroger en s’intéressant aux affaires publiques. « Quel artiste, disait-il, s’est jamais soucié de la politique ? » L’arrivée d’une armée russe charma sa badauderie, et son bonheur fut au comble quand les Français eurent remplacé les Russes, parce qu’il n’allait plus à son bureau : il n’y avait plus d’administration prussienne. Les employés se partagèrent la caisse pour l’empêcher de tomber aux mains de l’ennemi, et Hoffmann mangea sa part en bonne compagnie, dans un cabaret d’où l’on apercevait chaque matin Napoléon à la parade.
Lorsque tout fut mangé, et bu, il revint à Berlin et se résolut à mener la vie d’artiste, puisque les circonstances l’avaient débarrassé de sa situation. Il mit une annonce dans un journal pour demander une place de chef d’orchestre, et il en trouva une. C’était à Bamberg. Hoffmann arriva tout à point pour assister à l’agonie et à la faillite du théâtre, mais il n’en fut point découragé. Il avait la foi, il avait l’enthousiasme, il était décidé à « vivre la poésie, » et il la vécut pendant huit ans, si c’est vraiment « se soulever au-dessus des vulgarités et des misérables petitesses de l’existence quotidienne » que d’être compositeur à gages, machiniste, ténor, peintre de décors, architecte pour trucs et praticables, chef d’orchestre à Bamberg, metteur en scène, et, quand tout cela ensemble ne suffisait pas pour le nourrir, professeur de piano au cachet. Les acteurs et les auteurs le firent enrager. Il subit les caprices et les humeurs de la prima donna et de la jeune première. Il fut sifflé parce que le public le trouvait trop ridiculement petit et trop bizarre d’allures pour conduire un orchestre. Il voyagea avec sa troupe dans un attirail digne du Roman comique. « Nous remplissions neuf voitures… Il y en avait une surtout qui me paraissait si remarquable que je ne manquais jamais d’être présent pour la voir charger et décharger. Tout bien compté, il y avait là-dedans : un coiffeur, deux hommes de peine, cinq filles de chambre, neuf enfans, dont deux nouveau-nés et trois autres tétant encore, un perroquet jurant sans discontinuer, cinq chiens, quatre cochons d’Inde et un