Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et certainement on arrivera à l’atténuer, ne constitue pas un obstacle insurmontable. On dispute sur la qualité du sol de Madagascar ; les uns le considèrent, sauf dans les rares vallées, comme peu fertile et propre surtout aux pâturages ; d’autres en ont une opinion meilleure ; sur un point il y a unanimité d’avis, c’est que l’île abonde en richesses minérales, notamment aurifères. Il est si difficile à un explorateur, si instruit et si consciencieux soit-il, de juger, d’après les bandes de terrain parcouru, de l’avenir agricole d’un pays, qu’on doit n’accepter qu’avec beaucoup de réserve ces appréciations nécessairement sommaires. La colonisation ménage souvent des surprises ; le Canada et l’Australie passaient naguère pour des terres fort peu engageantes au point de vue cultural ; elles se trouvent, néanmoins, parmi celles qui, à l’heure présente, alimentent en produits divers les marchés européens et luttent avec succès contre les produits protégés du vieux monde. Les hauts plateaux du Transvaal, d’autre part, ne paraissent pas bien supérieurs au territoire de la grande île malgache, qui semble posséder, comme ceux-ci, la grande richesse, servant d’amorce à la colonisation, l’or.

La prise de possession de Madagascar par la France, quelque prix qu’elle nous ait coûté, quelles que soient les fautes ou les erreurs qu’on ait pu constater dans la préparation de l’expédition, a été une grande et belle œuvre. Une question se pose, toutefois, à l’heure actuelle, qu’il importe de trancher dans le bon sens, alors qu’il en est encore temps. Serons-nous vraiment les maîtres de la grande île australe ? Le traité intervenu entre la France et la reine Ranavalo nous donne-t-il un titre précis, incontesté, complet, non seulement pour l’administration intérieure, mais aussi à l’égard des étrangers, Anglais, Américains, Allemands ? Ne nous procure-t-il pas, au contraire, un domaine grevé de nombre de servitudes plus ou moins perpétuelles, et dont nous supporterons tous les frais sans jouir d’aucun avantage quant aux profits ?

Nous n’hésitons pas à dire que nous craignons, si l’on ne prend actuellement un supplément de précautions, qu’il n’en soit ainsi. Le traité conclu avec la reine Ranavalo nous paraît prêter à équivoque ; il ne nous assure pas une situation assez nette à l’égard des puissances étrangères. L’expérience que nous avons des affaires coloniales nous fait appréhender que l’on n’ait renouvelé, dans une mesure atténuée, si l’on veut, les fautes du traité du Bardo. Avec tous les hommes, nous pouvons dire sans aucune exception, qui ont suivi de près les questions concernant les colonies et qui se sont môles aux entreprises coloniales pratiques,