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d’une aussi fâcheuse situation ; il fit admettre en franchise sur le territoire français quelques produits de la Tunisie, comme les céréales ; il réduisit les droits, sans les supprimer, sur d’autres articles, comme les vins communs ; il laissa subsister, au contraire, des taxes énormes, en certains cas tout à fait prohibitives, sur d’autres denrées tunisiennes, comme les vins de liqueur, les eaux-de-vie et tous les articles non dénommés, qui sont soumis à l’entrée en France au même traitement que les produits espagnols et autres ; dans certains cas, comme pour les eaux-de-vie, le droit qui monte à soixante-dix francs par hectolitre équivaut à une prohibition absolue. Ce régime adouci, par rapport aux rigueurs des premières années, ne laisse pas encore, on le voit, d’être bien sévère ; il n’est pas, en outre, définitif ; il est toujours révocable, dépendant d’une interpellation quelconque d’un député défavorable à la Tunisie ; les exportations tunisiennes, sous ce régime qualifié fort improprement de faveur, sont entourées des formalités les plus décourageantes pour le producteur. Le ministère du quai d’Orsay fixe d’avance chaque année les quantités des divers produits tunisiens qui pourront être introduites en France ; si ses estimations sont trop faibles, les denrées tunisiennes ne peuvent plus entrer, ou il faut attendre un nouveau décret, toujours incertain, augmentant ce que l’on appelle « les crédits d’exportation ». L’an dernier, au mois de mai, plusieurs milliers d’hectolitres de vins tunisiens qui étaient dans le port de Tunis et même déjà sur chalands pour être embarqués furent arrêtés, parce que l’on avait découvert que ces fameux « crédits d’exportation », fixés seulement à la somme dérisoire de soixante mille hectolitres de vin pour toute l’année, étaient atteints. La colonie fut dans une anxiété profonde durant plusieurs jours ; le résident télégraphiait au quai d’Orsay qui faisait attendre sa réponse ; je me trouvais à ce moment à Tunis et je parle ici des choses que j’ai vues. Heureusement, le ministre de l’agriculture devait venir présider le concours général agricole qui allait s’ouvrir dans la capitale de l’ancienne Régence. Le résident général lui fît comprendre que, si le décret élevant les crédits d’exportation ne devançait pas son arrivée, il ne pouvait répondre de l’accueil qu’il recevrait dans une colonie en proie aux plus vives alarmes.

Telle est encore la situation qui pèse sur la Tunisie : un colon tunisien ne peut vendre à l’avance ses produits dans la métropole, il ne peut conclure de marché à livrer, parce qu’il n’est jamais sûr que, sous prétexte d’épuisement des crédits d’exportation, ses denrées ne seront pas refusées en France. En vendant sa récolte, il risque toujours, de ce chef, de ne pas pouvoir tenir ses