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engagemens et d’être condamné à des indemnités, par la faute du déplorable régime auquel le commerce du pays est assujetti.

La France, d’un autre côté, ne peut pas davantage introduire en franchise ses produits dans l’ancienne Régence de l’Est ; ils sont uniformément frappés du droit de 8 pour 100 qui grève les marchandises des autres nations. Tout avantage que la France voudrait établir pour ses nationaux, toute immunité dont elle prétendrait faire jouir les produits français, seraient immédiatement revendiqués par l’Angleterre, qui se prévaut de la clause de la nation la plus favorisée à perpétuité. Dans une lettre écrite, il y a quelques semaines, par lord Salisbury à la Chambre de commerce de Manchester, lord Salisbury affirme hautement que les produits anglais jouiront en Tunisie de toute amélioration de traitement accordée aux produits français. Cette situation se résume en cette formule : les Français sont considérés en Tunisie comme des étrangers, ils ont la charge de l’administration, mais les étrangers sont, sous tous les rapports, leurs égaux.

On a bien dénoncé le traité italo-tunisien, et on sait avec quelle affectation l’Italie a fait remettre sa réponse à la communication qui lui a été faite, non pas au quai d’Orsay, ni à l’ambassade de France à Rome, mais au gouvernement du bey à Tunis ; on sait aussi comment elle fouille tout le passé et remue toutes les paperasses du vieux temps pour prétendre que, réserve faite du pouvoir d’administration, les Français ne peuvent avoir aucun droit à Tunis que n’y aient aussi les Italiens.

Sous ce régime, où aucune colonie ne s’est trouvée à l’égard d’aucune métropole, l’élan de la colonisation tunisienne s’est brusquement arrêté ; il y a en France, au sujet de la Tunisie, une légende dorée qui date des espérances des premiers jours. En fait, depuis 1888 ou 1889, la fondation d’exploitations agricoles a été presque complètement suspendue dans le pays ; tous les domaines que l’on cite datent des premiers jours où d’imprudens colons apportèrent d’amples capitaux, ne se doutant nullement du sort que leur réservait le traité du Bardo. Le budget s’aligne régulièrement en Tunisie, ce qui est, sans doute, un grand point ; mais les cultures s’étendent peu, il ne s’est encore fixé dans le pays qu’une douzaine de mille Français, dont la moitié représente les fonctionnaires et leurs familles. La Tunisie ne reprendra vraiment de l’essor que le jour où elle sera considérée comme une possession française véritable, le jour où une union douanière sera constituée entre elle et la France, où les Français seront regardés en Tunisie, non pas comme des étrangers, ce qui est leur situation officielle à l’heure présente, mais comme des nationaux.