Ce que nous venons de dire des entraves au commerce tunisien et à la production tunisienne s’étend aussi aux impôts, aux tribunaux, à tout le régime personnel des Européens et des Français dans l’ancienne Régence de l’Est. On voudrait effectuer quelques modifications à l’organisation fiscale, par exemple, qui comporte trop de restes de l’ancienne barbarie, on est arrêté à chaque pas, parce que le gouvernement français n’est pas on Tunisie un maître incontesté ; on ne l’admet que comme une sorte de conseil judiciaire qui ne peut modifier les engagemens antérieurs de son pupille ; si, pour redresser ou tempérer quelque impôt baroque sur les ventes des denrées, on songe à établir un système de patentes, on éprouve l’appréhension que quelque consul étranger ne se réclame de quelque convention archaïque pour réclamer l’immunité en faveur de ses nationaux.
Ces difficultés viennent de ce que ce mot de protectorat, qu’on a employé légèrement, est un terme nouveau dans la langue diplomatique et qui n’a aucune signification définie. Il paraît laisser ou du moins certains intéressés prétendent qu’il laisse à la nation protectrice et à ses nationaux la qualité d’étrangers sur le sol de la nation protégée. Un conseil judiciaire ne peut administrer les biens de son pupille comme il administre ses propres biens à lui-même, il n’a pas la même liberté d’allures et de décision. Certes, nous espérons bien qu’à Tunis le gouvernement français sortira de cette situation ambiguë, qui contrarie le développement tunisien, mais il y faudra beaucoup de résolution ; il faudra qu’il fasse un acte d’autorité en déclarant qu’à ses yeux la nation protectrice a sur le territoire de la nation protégée des droits spéciaux, que la clause de la nation la plus favorisée ne peut être opposée par des tiers aux nationaux de la nation protectrice, qui doivent être considérés comme des nationaux sur le sol de la nation protégée. Il importe que le gouvernement français fasse celle déclaration, cet acte d’autorité, le plus tôt possible, sans ambages, et qu’il se rie ensuite avec courtoisie, mais fermeté, des remontrances qui pourront lui être adressées. Si le gouvernement français a ce devoir en ce qui concerne Tunis, on ne comprendrait pas par quelle aberration il se jetterait dans un guêpier du même genre à Madagascar.
On voit depuis plusieurs années, bien avant ses éblouissans succès, le Japon mettre tout en œuvre pour se dégager des servitudes qui, sous le nom de traités, le liaient aux puissances occidentales, et un grand pays comme la France irait assumer, dans des possessions qui lui ont coûté des trésors et du sang, des servitudes du même genre à l’égard de toutes les nations civilisées !