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Si, d’autre part, en Angleterre, les crimes et les délits sont beaucoup moins nombreux que chez nous, n’est-ce pas, pour une part, que l’armée sert d’asile permanent, non pas à plusieurs dizaines de mille hommes, mais à plusieurs centaines de mille, qui n’ont pas le goût des métiers civils et qui préfèrent une vie disciplinée avec quelques loisirs et quelque confortable à l’embarras de conduire soi-même son existence et d’y pourvoir chaque matin.

Le jour où on le voudra, on trouvera, parmi les hommes de vingt-quatre à quarante ans, beaucoup plus que le nombre qui serait nécessaire pour recruter amplement une armée coloniale professionnelle. Il n’est pas besoin, en effet, de soixante mille soldats français coloniaux, chiffre des remplaçans dans l’armée du second empire ; vingt mille à vingt-cinq mille Français suffiraient, au grand maximum, avec cinq mille hommes de la Légion étrangère et vingt-cinq mille à trente mille Kabyles, Arabes, Sénégalais, Haoussas, Comorriens, Annamites, etc.

Toute cette armée coûterait-elle cher ? Évidemment, il faudrait des primes d’engagement et peut-être un prêt un peu plus élevé que dans notre armée nationale ; on devrait y ajouter des pensions, les emplois coloniaux ne pouvant toujours suffire. Mais, d’une part, en ce qui concerne les Kabyles, Arabes, Sénégalais, Haoussas, Comorriens, les primes d’engagement peuvent être assez légères, ces gens ayant des habitudes peu exigeantes. Pour les Français, elles devraient naturellement être plus élevées ; mais, comme les engagemens ne seraient reçus que pour cinq ans au moins, qu’il y aurait beaucoup de réengagemens, que les frais de transport, de rapatriement, de maladie et d’hôpital resteraient des deux tiers ou des trois quarts au-dessous de ce qu’ils atteignent actuellement, il est probable qu’on trouverait dans ces économies la compensation de ce surcroît de dépenses. S’il manquait quelque chose à cette balance, on le regagnerait par la plus grande efficacité et rapidité des expéditions.

On objecte que les essais faits pour recruter des engagemens volontaires dans l’infanterie de marine n’ont pas donné tous les résultats qu’on en attendait ; c’est, sans doute, qu’on s’y est mal pris. On a été arrêté par des scrupules excessifs. Les « remplaçans » du second empire cédaient, en général, à l’appât d’une forte somme immédiatement payée : on leur remettait mille francs ou mille cinq cents francs, que beaucoup, sans doute, gaspillaient et dont ils faisaient un usage parfois peu recommandable. Cela valait toujours mieux que s’ils avaient été enclins à voler une somme de ce genre, et le résultat pratique que l’on cherchait était obtenu :