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genre de reproches, et il ne pèche certes pas par défaut de caractère.

C’est un thème commun de plaisanteries faciles que de relever chez Ponsard ou chez Scribe certaines incorrections, de fréquentes platitudes et un bon nombre d’incongruités malheureuses. On se demande vraiment pourquoi l’ironie - d’ailleurs justifiée - des critiques s’attaque sans cesse à l’auteur de Lucrèce ou à l’auteur de la Camaraderie et n’a presque jamais effleuré l’auteur de la Ciguë… Celui-ci n’aurait pourtant rien à gagner à une comparaison avec ses deux prédécesseurs. Réfractaire à la rime, inapte à la science du rythme, souvent maladroit dans l’usage de la métaphore et négligent dans le choix du terme propre, vulgaire et poncif par-dessus le marché, il a écrit en vers à peu près aussi mal qu’il est possible. Le fait ressort avec une telle évidence de l’examen le plus superficiel qu’on hésiterait à y insister, si les admirateurs n’affichaient trop souvent une intransigeance indiscrète en leur admiration.

La question de la rime reste encore discutable. Assurément cher et sert, peu et veut, pour terminer des alexandrins, eussent causé à Théodore de Banville et aux virtuoses de son école des sursauts d’horreur ; sans être virtuose, on serait en droit de se trouver désagréablement impressionné à moins. Il est juste de considérer cependant que la rigueur des Parnassiens nous a entraînés à des exigences grammaticales outrées, et que leurs formules sur la rime, « unique harmonie » et condition essentielle de notre prosodie nationale, ne reposent sur aucune espèce de preuve. Presque toute la vieille poésie, et, maintenant, la poésie populaire se contentent au contraire de l’assonance ; au XVIIe et au XVIIIe siècle, Racine, Boileau, Voltaire, qui sont des puristes, ne soupçonnent pas un instant l’intérêt des sonorités rares ou de la fameuse consonne d’appui ; c’est au XVIe et au XIXe seulement qu’apparaissent les règles étroites dont l’observation nous a semblé peu à peu indispensable, mais sans lesquelles on conçoit parfaitement un cycle poétique non inférieur au cycle actuel.

La question du rythme en général demeure également incertaine et soumise aux interprétations les plus diverses. Que la vulgarité monotone de la cadence métrique soit sans importance à la scène, qu’elle soit même favorable à l’effet théâtral et produise sur la foule une impression d’entraînement comparable à celle de la musique militaire, la thèse peut se défendre. Mais ce que rien n’absout ni n’excuse, ce sont les incroyables défaillances de style qu’on ne tolérerait pas chez un collégien, les fautes de français comme :