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grands financiers, et n’attaque que l’importance politique, sociale et même morale qu’ils ont conquise dans l’État moderne.

Il y aurait des réserves à faire sur cet anathème dont on couvre d’ordinaire les spéculateurs, et ce ne serait pas une tâche impossible de démontrer que, si l’agio a ses côtés infâmes ou malfaisans, on lui doit aussi, pour une bonne part, les prestigieux progrès de notre civilisation. Il faudrait examiner en outre si l’épanouissement de ce qu’on a dédaigneusement appelé la ploutocratie n’est pas la résultante directe du coup porté par le XVIIIe siècle, puis par la Révolution française, à l’aristocratie héréditaire, et la corrélation inévitable du régime démocratique. En tout cas, justes ou injustes, les diatribes violentes des Effrontés ou de la Contagion cadraient exactement avec l’opinion intime de la majorité bourgeoise ; on les proclama admirables, sans s’occuper beaucoup de contrôler leur valeur.

On ne contrôla rien, ni le fond du réquisitoire, ni les argumens sur lesquels il s’appuyait. Au milieu de l’engouement universel, personne ne s’aperçut que le principal, on pourrait dire l’unique argument du procès, consistait à rééditer l’argument le plus banal et le plus mesquin qui ait jamais été, celui qui consiste à ne voir dans l’homme d’argent qu’un viveur et un oisif. Le baron d’Estrigaud apparut comme l’incarnation parfaite du haut baron de la finance. Ce type de boursier véreux, coureur de tripots et pilier de coulisses, dandy, duelliste, et au besoin entretenu par sa maîtresse, existe certainement dans la vie réelle et n’y est peut-être pas rare ; mais le confondre avec les redoutables remueurs de millions, qui, en effet, semblent prendre aujourd’hui dans notre organisme social une place encombrante et inquiétante, c’était avouer n’avoir jamais ouvert la Gazette des Tribunaux et méconnaître un peu trop la matière que l’on prétendait traiter.

Comme pendant au spéculateur, nous allons avoir la courtisane selon les données de la tradition, la créature fatale, perverse, cupide et féroce, sans nuances aucunes, tout d’un bloc ; non point fausse peut-être, mais symbolique, et d’un symbolisme puisé dans une observation superficielle et grossière. Elle passera sa vie à faire le mal, toujours et quand même, par une sorte d’impulsion instinctive, par « nostalgie de la boue ». Ce mot du Mariage d’Olympe a paru une trouvaille et, depuis sa création, on l’a répété quelques centaines de fois. En réalité, il n’exprime, par une phrase énergique et pittoresque, qu’une vérité des plus contestables, dès qu’on la généralise. L’aventurière qui se range est au moins aussi fréquente que la drôlesse, à la façon d’Olympe