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l’unique indication psychologique un peu suggestive sur le caractère de celle qui devrait être l’héroïne de la pièce. Quant aux théories du théoricien Bordognon, ce ne sont que des variations spirituelles sur un thème connu. Dans Séraphine, comme dans Vernouillet, comme dans quelques autres personnages encore, l’effort d’Augier hors de sa banalité coutumière n’a jamais complètement abouti.


IV

Assez médiocre comme artiste et comme écrivain, superficiel comme analyste et comme peintre de mœurs, il pouvait encore valoir, abstraction faite de la forme, par un certain fond d’idées philosophiques. Il visait assez ouvertement à se poser en moraliste social, et ne se jugeait sans doute pas impropre à la politique, quoiqu’il fît profession de la classer « au premier rang des sciences inexactes, entre l’alchimie et l’astrologie judiciaire[1]. » Presque d’un bout à l’autre, son théâtre fourmille de considérations sur la famille, le mariage, l’éducation, le dépeuplement des campagnes au profit des villes, les réformes somptuaires, la bourgeoisie, la démocratie, les principes de 1789 ; en dehors de ses comédies, d’un mince volume de poésies insignifiantes et de quelques préfaces, il n’écrivit jamais qu’une courte brochure ; ce fut pour proposer à la France un nouveau mode de procédure électorale, auquel il attribuait bénévolement « l’avantage d’être infaillible. » Lui-même enfin avouait que, de son passage pendant trois ans au conseil-général de la Drôme, « il lui était resté un goût très vif de la médecine sociale, et que, pour, sa satisfaction particulière, il en avait poussé l’étude plus loin qu’il n’était nécessaire à son art[2].

À quelles conclusions devait le mener la susdite étude ? De quelles idées générales allait-il se constituer l’apôtre ? Dans un très remarquable portrait d’Émile Augier, M. René Doumic répondit un jour à la question : « Dans la lutte de l’individu contre la collectivité, c’est pour la collectivité qu’Augier se prononce. C’est à ce point de vue de l’intérêt social qu’Augier se place toujours et uniquement[3]. » Ce qui tendrait à faire de l’auteur des Effrontés un défenseur du dogme de l’État, une sorte de Joseph de Maistre n’envisageant les circonstances particulières

  1. Discours pour la réception de M. Émile Ollivier à l’Académie française.
  2. La question électorale, avant-propos.
  3. René Doumic, Portraits d’écrivains.