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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/408

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qui forment l’œuvre complète d’Émile Augier. Clinias, dans la Ciguë, vous prouvera combien le calme de la vie honnête est supérieur aux fièvres du libertinage. Monteprade, dans l’Aventurière, démontrera le danger des amours séniles. Julien, dans Gabrielle, dira quel tort se fait une mère de famille en prenant un amant. Verdelet, dans le Gendre de M. Poirier, expliquera le ridicule et le péril des ambitions politiques chez un ancien commerçant que le goût de la pairie entraîne à mal marier sa fille. Trélan, dans Ceinture Dorée, flétrira la richesse acquise par des procédés suspects. Hubert, dans la Jeunesse, établira que, si l’on est trop pauvre pour habiter Paris, il vaut mieux s’exiler à la campagne. Et la série peut se continuer. Et l’on aurait tort de croire que ces pensées quelconques ne soient ici qu’un accessoire. Enlevez à l’auteur de Maître Guérin ses idées, vous n’avez plus qu’un vaudevilliste de style médiocre, à la psychologie sommaire, très inférieur à Scribe comme homme de métier ; grâce, au contraire, à ses prétentions de moraliste, nous possédons du moins un document curieux sur l’âme de la bourgeoisie française durant la seconde moitié du xixe siècle.


V

Ce mérite purement documentaire, nous admettrions volontiers que ce sera le meilleur titre de l’écrivain devant l’avenir. Il a amusé ses contemporains ; quand les modes littéraires changeront, il les amusera peu ou pas, selon les circonstances. Mais, comme on chercherait vainement en ses écrits autre chose que des faits divers dialogués et présentés avec d’ingénieuses combinaisons d’intrigue, leur chute sera irrémédiable dès le jour où le public des théâtres aura cessé de s’y plaire. Les érudits seuls continueront alors à le lire, pour y puiser des renseignemens sur une certaine catégorie sociale d’une certaine époque historique, ainsi qu’on peut lire à l’heure actuelle les romans de Mlle de Scudéry pour se faire une idée du monde des Précieuses.

Et, à ce point de vue, nul ne sera plus instructif. Non seulement, il a promené sur les planches des personnages de la classe moyenne, surtout il a été lui-même le symbole le plus parfait de cette classe, par ses qualités et par ses défauts. Au cours de cette étude, nous avons déjà signalé avec quelle sûreté et quelle précision instinctive il sut adapter son talent aux préoccupations et aux aspirations d’un auditoire spécial. Si l’on s’attachait à pousser l’analyse plus avant, jusque dans les plus infimes détails, on verrait combien cette adaptation fut naturelle et spontanée. En-