Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et médianes, jetées de-ci de-là, souvent même relevées, les femelles des acridiens tâtent le terrain avec leur armure génitale ; s’il est reconnu favorable, elles insinuent leur abdomen graduellement, mais assez rapidement, en reculant au fur et à mesure jusqu’à ce que le plastron sternal vienne toucher l’orifice du trou. Chaque femelle de criquet pèlerin, prise comme exemple, peut creuser une cavité ayant jusqu’à 8 centimètres de profondeur, alors que son abdomen, rempli d’œufs, n’en mesure seulement que 5 ; il est donc capable de s’allonger de 3 centimètres, et en même temps d’accroître sa capacité en proportion de son allongement.

« Avec un peu d’adresse, je pus surprendre des couples de criquets pèlerins au moment de la ponte ; je dis couple, parce que le mâle des acridiens ne se sépare pas de sa compagne pendant l’opération et demeure fixé sur son dos, ce qui a fait croire à quelques observateurs qu’il lui venait en aide. Les maintenant appliqués contre terre, j’injectai délicatement, à l’aide d’une seringue de Pravaz, ceux-ci d’alcool absolu, ceux-là d’une solution de bichromate de potasse ; la mort étant presque instantanée, la conservation des attitudes était assurée. Déblayant le terrain latéralement, j’ai obtenu bientôt des coupes de trou avec pontes commencées ou presque terminées ; les pièces de l’armure étaient toujours écartées et leurs positions indiquaient leurs fonctions. Rien ne peint mieux l’acte de la ponte que le langage imagé des Arabes lorsqu’ils disent que les femelles « plantent ». En effet, elles se servent de leur abdomen comme d’un plantoir, et les pièces solides de l’armure ne servent qu’à maintenir les grains de sable jusqu’à ce que ceux-ci aient été agglutinés par la matière spumeuse qu’elles sécrètent en même temps qu’elles pondent. »

Au nombre des paroles de Mahomet, recueillies par ses disciples, et transmises jusqu’à nous par la tradition, on trouve dans les Hadis, — nom du recueil qui les contient, — qu’une sauterelle tomba étourdiment aux pieds du Prophète et que, sur les ailes étalées de l’insecte, il put lire les mots suivans écrits en langue hébraïque : « Nous sommes les légions du Dieu suprême ; nous portons quatre-vingt-dix-neuf œufs ; si nous en avions cent, nous dévorerions le monde entier. » Le Prophète a dû mal lire, car il est reconnu aujourd’hui que les criquets pèlerins, les sauterelles de la Bible et des Hadis, pondent neuf cents œufs en moyenne, et cependant, le monde en entier n’a pas été dévoré. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que ces paroles sacrées furent transmises d’âge en âge, et personne, musulman et chrétien, ne songea à contrôler l’assertion de Mahomet. Les naturalistes