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loin de correspondre à la somme des forces dépensées, car toutes les pontes ne peuvent être attaquées ; celles qui ont été faites dans les terrains boisés et couverts notamment d’une végétation vivace, sont de celles-là. Or, si l’on veut bien tenir compte de ce fait que chacune des sauterelles formant l’un de ces nuages gris que le colon avec effroi voit passer sur sa tête, donne naissance à quelques centaines de criquets, on comprendra qu’il suffira de deux ou trois gisemens d’œufs préservés par la nature du sol où ils furent déposés, pour ravager toute une contrée. Mais il y a plus : celles des pontes qui sont attaquées le plus vivement donnent encore naissance à un nombre infini de criquets, et ce fait, qui a été constaté, se comprend si l’on considère, d’une part, les moyens plus qu’imparfaits dont les corvées indigènes se servent pour rechercher les œufs, — de simples piquets de bois, — et d’autre part, cette circonstance que des œufs seulement retournés ou déterrés peuvent encore éclore.

Dans la troisième période, le criquet est né ; pendant quelques jours, il s’agite sur place ; les taches mouvantes qu’il forme à la surface du sol s’étendent en raison du développement rapide de l’insecte ; elles se soudent les unes aux autres et, à ce moment, se trouvent formées des bandes innombrables qui s’ébranlent et s’avancent, triomphant, par leur nombre infini, des obstacles les plus insurmontables en apparence.

C’est à ce moment que les ravages atteignent la proportion d’un désastre complet. Armé par la nature de mâchoires puissantes, doué d’organes particuliers de sécrétion qui rendent la digestion presque instantanée, et poussé d’ailleurs par un besoin irrésistible qui prend sa source dans les transformations rapides que l’insecte doit subir, le criquet dévore sur son passage tout ce que le règne végétal peut produire. On a souvent parlé de l’immunité acquise à certains végétaux ; les renseignemens fournis tendent à démontrer qu’il n’en existe qu’un bien petit nombre.

Mais c’est aussi à cet instant, si critique pour la colonisation, que l’insecte ravageur peut être détruit avec plus de facilité. Grâce à la connaissance de cette loi mystérieuse qui le pousse à vivre en société et à se grouper en bandes immenses, et les pontes ayant été signalées à l’avance, on peut choisir le terrain sur lequel on combattra l’ennemi. Ce terrain doit être autant que possible découvert, uni et de consistance légère. Les appareils cypriotes déposés, avec une somme de travail infiniment moindre que celle qu’aurait réclamée la destruction partielle de la ponte, l’anéantissement de la bande entière des criquets peut être réalisée.

L’appareil cypriote consiste en barrières mobiles, faites de toile, de 50 mètres de long et de 0, n,75 à 0m,90 de hauteur, portant