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l’Instruction criminelle en ce siècle n’ait reflété que variations et révolutions, luttes entre des principes contraires. Si l’on a touché quelquefois au code de 1808, ç’a été sous l’empire de quelque préoccupation politique immédiate, et de telles retouches n’ont pu qu’ajouter encore à l’incohérence de l’édifice. Il fallait sans doute, pour qu’on entendît sonner l’heure des réformes, que ce pays fût calme et sûr du lendemain, et peut-être aussi que l’expérience des faits eût rendu plus évidens encore les défauts de notre procédure pénale. Donc sur le point spécial de l’Instruction préparatoire, il nous semble pouvoir dire qu’un mouvement se dessine dans l’esprit du public, une tendance de retour à la conception libérale de 1789.

Sur l’autre partie de la procédure, sur la période du débat oral et du jugement, les aspirations semblent encore bien confuses. Les critiques s’accumulent, souvent mal fondées, souvent contradictoires, et révélant en général une connaissance incomplète du fonctionnement réel de notre juridiction criminelle. Aussi un examen pratique de cette juridiction, c’est-à-dire de la cour d’Assises, dans son fonctionnement quotidien semblera peut-être une œuvre opportune, et pourra constituer, en vue des réformes, un utile document.


I

Que le lecteur nous suive donc dans la capitale du Droit criminel, à la cour d’assises de la Seine. Et s’il craint le récit de quelque drame judiciaire très noir et très sanglant, qu’il veuille bien se rassurer ! Notre but est d’étudier la cour d’assises elle-même, et non les procès qui s’y déroulent.

Il n’est point de lieu plus propice à l’examen des problèmes du droit pénal que le lieu où cette juridiction célèbre tient ses audiences. Toutes les questions sociales et philosophiques qui passionnent une époque y sont chaque jour posées. Aussi n’est-il pas une assemblée, un congrès, un journal, un salon ou une loge de concierge qui ne s’intéresse à la Cour d’assises, et ce lieu est, au point de vue de l’observateur, une admirable clinique.

Étrange clinique, au premier aspect ! On ne voit pas au lit du malade, c’est-à-dire autour de l’accusé, quelques savans attentifs, mais des groupes fiévreux, diversement vêtus, qui s’interpellent à voix haute, qui s’agitent avec passion. Et ce débat, à le juger sur l’apparence, semblerait se rapprocher à la fois de l’antique « combat judiciaire » et de la représentation d’un mystère au moyen âge, plutôt que d’une enquête moderne d’un caractère réellement scientifique et rationnel.