presque du sociologue, du collaborateur de Saint-Simon, du rédacteur du Courrier français et du Censeur européen ? Je n’aurais qu’à feuilleter ses Lettres sur l’Histoire de France, ou le recueil qu’il a intitulé : Dix ans d’Études historiques ; et, dans la polémique passionnée du journaliste de 1820, vous reconnaîtriez aussitôt, sous une forme plus âpre, l’idée maîtresse de l’Essai sur la formation et les progrès du Tiers État ou de l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands. Mais à quoi bon renouveler ou ranimer d’anciennes querelles, dont on en ferait trop aisément d’ « actuelles » ? et puisque aussi bien les idées historiques d’Augustin Thierry, pour entrer dans l’histoire, ont dû commencer par dépouiller le caractère d’exagération qu’elles tenaient de leur origine politique, n’en ai-je pas assez ou trop dit, peut-être ? J’aime donc mieux, pour terminer, vous parler de l’artiste, et s’il est vrai que l’art seul demeure, j’aime mieux placer la fortune de ses idées historiques elles-mêmes sous la protection de son talent de peintre, de conteur, et de poète.
On veut faire aujourd’hui de l’histoire une science, — c’est le grand mot, — et, comme au savant, on ne demande donc à l’historien que d’établir des « faits, » entre lesquels même on le dispense d’essayer de saisir aucune espèce de liaison ou d’enchaînement. Que dis-je ? on le lui interdit ! et le plus cruel reproche que nous voyons qu’on lui adresse c’est celui d’avoir des idées. Importunes à ceux qui en ont d’autres, les idées sont toujours suspectes à ceux qui n’en ont pas ! On exige encore de lui qu’il se désintéresse de ses personnages, et, sous le nom d’impartialité, qu’il nous parle de Louis XIV ou de la Révolution française avec autant de sang-froid, ou plutôt d’indifférence, je ne dis pas que de Nabuchodonosor ou de Sésostris, mais de l’ours des cavernes ou des poissons ganoïdes. Et, au fait, est-ce que le naturaliste se fâche, est-ce qu’il s’indigne, contre l’animal qu’il décrit ? Il ne s’attendrit pas non plus quand il nous conte leurs mœurs, et nous le trouverions ridicule de s’apitoyer sur la destinée des victimes de la lutte pour la vie. Ainsi, dit-on, procédera désormais l’historien. Et alors, et enfin, pour le récompenser de sa docilité, ce qu’on lui défendra plus expressément encore que tout le reste, ce sera de recourir au prestige trompeur de l’art ; il ne s’avisera pas d’écrire pour tout le monde, mais seulement pour quelques initiés ; et quand « le divorce sera devenu complet entre le travail de collection des documens et la faculté de les comprendre ou d’en exprimer le sens intime, » c’est alors qu’étant devenue tout à fait une science, l’histoire, devenue tout à fait illisible, sera devenue tout à fait l’histoire.
Telle n’était pas, Messieurs, l’opinion d’Augustin Thierry : il pensait d’une manière plus large ; il sentait d’une manière plus vive ; il estimait que « la recherche et la discussion des faits, sans autre dessein