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abondance ; on peut obtenir de chaque cheval un kilogramme de papier par vingt-quatre heures ; une seule caserne de cavalerie suffirait à la consommation du ministère de la guerre. Il est étonnant que l’on n’ait pas songé plus tôt à cette matière première ; en effet ce sont les choses qui vous crèvent les yeux que l’on aperçoit le plus difficilement. » Je ne pense pas que personne ait jamais exploité l’idée de M. Jobard, mais en 1864 une usine située aux portes de Paris et disposant de deux machines, fabriquait du carton et du papier avec le fumier des écuries impériales. Il est vrai que la litière des chevaux de Napoléon III était changée assez souvent pour que le papetier qui la travaillait en pût tirer des marchandises estimables ; je me suis laissé dire que certains « bulles », en paille demi-blanchie, qui sortaient de ces ateliers, étaient appréciés pour envelopper la pâtisserie. La lessive et le chlore purifient tout.

Le fumier de cheval n’est pas le seul qui ait tenté les esprits originaux : une gazette étrangère mentionnait récemment un projet de papier dont l’élément principal serait le fumier d’éléphant, lequel se compose uniquement, quand il a été lavé par la pluie, de courtes fibres mal digérées d’un bambou croissant dans le terreau des forêts vierges. L’éléphant serait ainsi producteur, lessiveur et broyeur de pâte. Il constituerait un appareil automatique, se vidant et se remplissant tout seul, mobile et susceptible de s’installer partout, solide, car l’animal vit très vieux, pas cher parce qu’il se vend presque pour rien avant d’avoir été dressé.

En laissant de côté les imaginations plus ou moins hétéroclites, on doit signaler comme une nouvelle conquête les vieux imprimés qui, refondus, fournissent du papier blanc. L’idée était déjà développée il y a cent ans, dans le Journal des arts et manufactures, mais sa réalisation est récente. Le procédé fut découvert par hasard. Un Américain qui, depuis longtemps, transformait les imprimés en carte à chandelle, expédiée dans tous les Etats-Unis, vit son commerce supprimé vers 1848, par suite de l’usage du pétrole qui fit abandonner les chandelles pour les lampes. Ce fabricant, M. Henry Rogers, étant un jour occupé à rogner les marges blanches de livres mis au rebut, se trouva glisser sur les feuilles gisant à terre. Son pied, dans ce mouvement, effaça l’encre d’imprimerie comme on efface un trait de crayon avec de la gomme élastique. « Je songeai aussitôt, conte l’industriel, que, si je pouvais trouver ce qui avait produit cette place blanche, j’économiserais tout le travail de triage. » Il apprit, après force démarches, de l’imprimeur qu’il mit deux ans à trouver, en 1850, que des taches semblables, simplement causées par de la potasse, gâtaient souvent les livres. « Rentré chez moi, continue-t-il, je me