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mis immédiatement à traiter mes papiers de couleur par la potasse, puis, la trouvant trop onéreuse, par le carbonate de soude et la chaux. J’eus l’idée de faire breveter mon procédé, mais l’agent que j’allai voir à cet effet m’engagea à mettre mon secret en pratique à huis clos, sans prendre un brevet qui ne rapporterait pas ce qu’il faudrait dépenser pour le défendre contre les contrefaçons. Lorsque l’on sut que j’avais trouvé un moyen d’enlever l’encre du papier, plusieurs de mes confrères me proposèrent d’acheter mon système. » Pour tromper leurs investigations et se prémunir contre les indiscrétions de son personnel, M. Rogers usa d’une véritable stratégie. Les ouvriers mis dans la confidence travaillaient enfermés dans un coin écarté de la papeterie ; il avait recours pour les dérouter eux-mêmes à des « trucs » subtils, comme de mélanger au chlorure de chaux du bleu dont les blanchisseuses se servent pour azurer leur linge ; ce qui ne faisait ni bien ni mal et corsait le mystère de la préparation. La vérité ne transpira qu’au bout de sept ans. Perfectionnée aujourd’hui cette méthode est usitée dans le monde entier, mais seulement pour les espèces très ordinaires ; car le vieux papier, fût-il de première qualité, est loin, après avoir été ainsi trituré deux fois, de valoir du chiffon médiocre.

Une invention nouvelle, celle des pâtes de bois, allait d’ailleurs révolutionner l’industrie des papiers courans. Dès leur apparition, vers 1867, nos fabricans français se montrèrent incrédules et hostiles à leur emploi, soit par désir de ne rien changer à leurs habitudes, soit pour ne pas effaroucher la clientèle, d’abord réfractaire, soit enfin à cause des dépenses qu’allait entraîner le traitement de ces matières premières, pour lesquelles il fallait créer un outillage et risquer de gros capitaux.

Cet esprit de routine ou, si l’on veut, d’hésitation prudente, fut fatal à beaucoup d’usines. Elles virent décroître leurs affaires au profit de confrères plus hardis ou plus fortunés qui montèrent résolument les systèmes nouveaux, au profit de l’étranger aussi qui se les était plus rapidement assimilés. L’on vit en France à cette époque, à Paris surtout, une invasion de papiers allemands, autrichiens, belges ou anglais, qui, non contens de nous enlever les marchés voisins, arrivèrent chez nous en avalanche. « Cette poussée, dit M. Failliot, le très distingué président de la Chambre syndicale des papiers en gros, fut heureusement salutaire à notre industrie. » Elle se renouvela sous le feu de la concurrence et reprit le terrain qu’une heure de méfiance lui avait fait perdre.

La pâte de bois porte, suivant son mode de confection, les noms de mécanique ou de chimique : la première n’est autre chose