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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/544

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masse de papiers communs, dont le bon marché seul a permis la création de vingt industries contemporaines. On trouve du papier depuis 15 francs les 100 kilos jusqu’à 15 francs le kilo. Le premier est celui des emballages ; il se compose de paille non blanchie. Le second est celui des billets de la Banque de France ; on le tire des chiffons de toile neuve et de la ramie. Celui-ci coûtait même le double, — 30 francs le kilo, — lorsque la Banque s’adressait à l’industrie privée. Mais, depuis 1878 elle a fondé à Bierry (Seine-et-Marne), pour son usage exclusif, une usine où se fait la totalité de son papier fiduciaire. Cent vingt ouvriers et ouvrières y sont employés et fournissent annuellement 10 millions de coupures de 50 et 100 francs, et 1800 000 billets de mille et de 500 francs. Il y a dix ans tous ces billets étaient fabriqués à la cuve suivant les anciennes méthodes manuelles ; aujourd’hui, grâce à une machine inventée par lui, M. Dupont, directeur de cet établissement, confectionne mécaniquement les coupures de 100 et de 50 francs, soit plus des quatre cinquièmes de l’ensemble. Le coût de la main-d’œuvre est ainsi douze fois moindre et la qualité du papier est identique.

C’est aussi d’une usine française, de celle même où durant la Révolution se fabriquèrent les assignats, que sortirent jusqu’à ces dernières années les billets des banques nationales d’Italie, de Belgique, de Roumanie, de Serbie et de Portugal. Une maison était affectée, dans cet établissement, au logement des commissaires chargés de surveiller les commandes de leurs États respectifs, et l’organisation était combinée en vue de présenter aux diverses banques le maximum de sécurité.

Si les bank-notes anglaises ne viennent pas de France, la famille qui depuis deux siècles les fabrique appartient, par son origine, à notre pays. Parmi les nombreux calvinistes réfugiés en Angleterre, l’un des plus distingués fut Henry de Portal. Pour échapper aux horreurs des dragonnades, son père, Louis de Portai, quittant avec les siens le château de la Portalerie, avait cherché un asile dans les Cévennes. Le père, la mère et l’un des fils furent surpris et massacrés par les soldats, qui incendièrent la maison où ces malheureux s’abritaient. Quatre autres enfans, cachés dans un four hors de l’habitation, furent sauvés. Ils réussirent à s’échapper et passèrent en Angleterre, où l’un d’eux, quelques années plus tard, fonda dans le Hampshire, à Laverstoke, une usine à papier. Entouré des meilleurs ouvriers français, il sut donner à ses produits un tel degré de perfection que la Banque d’Angleterre, dès sa création, le chargea de la fourniture des bank-notes, dont ses descendans ont, jusqu’à ce jour, conservé le monopole.