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LA RELIGION
DE LA BEAUTÉ


ÉTUDE SUR JOHN RUSKIN




I.
SA PHYSIONOMIE




Il y a quelques années, étant à Florence le 7 mars, jour de la fête de Saint-Thomas-d’Aquin, je voulus étudier dans le cloître de l’église dominicaine par excellence, Santa Maria Novella, les fresques de Memmi et de Gaddi où l’on voit le Triomphe de Saint Thomas avec son aréopage des sept sciences célestes et des sept sciences terrestres. Il me semblait qu’aucun jour ne pouvait être mieux choisi pour tâcher de sentir ce qu’avait été cet homme comme disciplineur de la pensée. Puis un soleil splendide brillait sur les dômes de la ville des lis. Or il faut du soleil pour distinguer toutes ces figures d’apôtres, de bêtes allégoriques, de chiens du seigneur mordant les loups de l’hérésie, de savans, depuis Boëtius qui ressemble à un lépreux jusqu’à Tubalcaïn qui ressemble à un orang-outang. Voulant être seul, j’arrivai dès neuf heures du matin. Le cloître était désert. La fraîcheur matinale et le calme monacal en faisaient un promenoir délicieux. Par les vieux arceaux bâtis au XIVe siècle, brillaient les gazons verts qui ne durent pas si longtemps, mais qui se renouvellent toujours. Le sacristain, protecteur et narquois, avait refermé la porte avec un grand luxe de verrous. Les cloches sonnaient à toute volée, puis il y avait de longs silences… Je marchais depuis quelque temps