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de sa vie. » Parole d’autant plus grave qu’elle a eu sa traduction dans les faits. La cour d’assises n’est plus en Allemagne qu’une juridiction exceptionnelle. L’échevin tend de plus en plus à remplacer le juré de l’autre côté du Rhin ; l’échevin, qui n’est autre qu’un juré siégeant à côté du juge, et décidant avec lui les questions de fait et de droit. La presse quotidienne n’est pas moins sévère pour le jury que ne le sont les criminalistes et les hommes d’Etat. Tout récemment, nous avons rencontré les lignes qui suivent sous la plume de M. Francisque Sarcey :


Ce verdict sera un argument de plus contre l’institution du jury, qui est déjà depuis quelques années battue de toutes parts en brèche. Si elle succombe sous les coups qui lui sont portés, elle ne devra attribuer sa chute qu’à ses excentricités, à ses sottises et j’oserai même dire à ses folies.


Chose remarquable, ceci s’adressait (à propos d’une récente affaire scandaleuse) non pas au jury parisien, mais au jury anglais !

Or, jusqu’à ces derniers temps, le Français avait eu, à côté d’un immense dédain pour son propre jury, une vénération sans bornes pour le jury britannique. Cette superstition du jury d’Angleterre était devenue chez nous une opinion en quelque sorte nationale. Aujourd’hui la maladroite imitation que nous en avons faite nous a dégoûtés même de l’original. Le jury, cette idole, vacille sur son piédestal, et s’il reste pour lui un goût inexpliqué dans le public français, cela tient à un motif fort simple : on est détourné d’attaques trop vives contre le jury par la difficulté de le remplacer. Tout le monde en effet semble d’accord sur ce point : que le magistrat actuel ne saurait succéder au juré. Ainsi, l’opinion unanime, celle des hommes de science et celle du public, a un résultat bien net. Elle déclare qu’un tribunal de magistrats professionnels ne peut actuellement être substitué à la Cour d’assises, et elle élimine ainsi en théorie, de plein droit et sans discussion, l’opinion même que les parquets font chaque jour prévaloir dans la pratique.

En résumé, il y a, à l’heure actuelle et dans le monde entier, une « question du jury. » Cette institution a des défenseurs et d’ardens adversaires. Parmi les opinions contradictoires qu’elle a fait naître, où est la vérité ? Un examen attentif de son fonctionnement pourra seul nous le dire. Abordons notre deuxième question : Avec quels hommes et par quelles méthodes fonctionne la cour d’assises ?