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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/55

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IV

On pourrait croire, en bonne logique, que ce jury, réduit par les parquets à la portion congrue, ce jury considéré par les citoyens comme une charge incommode, à laquelle ils cherchent à se soustraire, pourrait être rayé d’un trait de plume de nos codes, sans qu’une réclamation s’élevât en sa faveur. Ce serait là une erreur bien grande ! Le Français supporte mal l’obligation d’être juré, il a le dédain du jury, c’est vrai, mais tout cela fait en lui un excellent ménage avec la superstition du jury.

« Le jury est entré dans nos mœurs, » dit-on : c’est là une phrase courante et qui se lit dans les ouvrages les plus graves. On pourrait se demander dans les mœurs de qui le jury est entré, puisque ce n’est ni dans les mœurs des magistrats, ni dans les mœurs des jurés, ni dans les mœurs des accusés, qui s’opposent rarement aux correctionnalisations les plus hardies ; ni dans les mœurs du barreau, qui a un dédain particulier pour la plaidoirie à la Cour d’assises ; ni dans les mœurs du public, qui n’a jamais assez de moqueries pour « ces bons jurés, » soit qu’ils acquittent ou qu’ils condamnent.

Mais, quoi qu’il en soit, comme le disait un criminaliste : « Le jury est, à ce qu’il semble, la plus sacrée des coutumes, à laquelle il est défendu de toucher sous peine d’excommunication majeure ! »

Il est vrai que, dans ces derniers temps, le jury a perdu un terrain considérable dans l’opinion des hommes de science. La plupart des criminalistes le condamnent, et ce point est important, car de très loin, mais sûrement, cette opinion mène et prépare les événemens. À ce point de vue, il semblerait que le jury, encore très en faveur dans l’esprit du public, approche cependant de sa ruine.

En effet, les temps sont loin où Rossi s’écriait : « Le jury est la condition de toute bonne justice pénale… La conscience de la justice sociale est dans le jury. »

L’école italienne a commencé l’attaque. M. Garofalo traite le jury d’institution baroque ; et tout criminaliste un peu à la mode ne manque pas de nommer irrévérencieusement le jury « la garde nationale du Droit ! » On connaît le réquisitoire célèbre que D. Manuel Silvela a prononcé aux Cortès contre l’institution du jury criminel. Un autre événement, d’une portée plus grande encore, et plus pratique, s’est produit lorsque, devant le Parlement, le ministre de la Justice de Prusse, le docteur Leonhard, a déclaré que le jury lui paraissait « une institution qui penche vers le déclin