cun critique d’art n’en pourrait montrer. La première chose qui frappe l’étranger se promenant dans les salles de la National Gallery, c’est l’éclat cristallin de toutes les toiles : il s’aperçoit alors qu’elles sont toutes sous verre, comme nos aquarelles. L’atmosphère enfumée de Londres oblige à prendre cette précaution, mais on ne la prenait pas autrefois, et c’est Ruskin qui, en 1845, dans une lettre adressée au Times, suggéra cette idée qui finit par être adoptée. Une chose qu’on remarque aussi bien vite, c’est la prodigieuse richesse de la Gallery en tableaux des Primitifs. Cinq salles consacrées aux écoles de Sienne et de Florence, contiennent des Botticelli, des Lippi, des Benozzo Gozzoli, des Perugin, des Ghirlandajo, des Pinturicchio, d’une exquise pureté. Notre Louvre ne nous offre point les mêmes ressources. Or en 1845, la National Gallery ne possédait presque rien de ces maîtres et le cri de reproche que jeta Ruskin à son retour d’Italie, nous voyons comme il fut entendu. Si nous pénétrons dans la salle des Turner, nous apercevons encore mieux le plein succès de sa campagne en faveur du grand paysagiste, et si nous descendons dans les sous-sols, en y trouvant exposés les dessins ou aquarelles, et jusqu’aux plus minces croquis de l’auteur de Didon à Carthage, nous verrons que les Modern Painters ne furent pas publiés en vain. Non plus, d’ailleurs, les Pierres de Venise, ni les Sept Lampes de l’architecture, car l’architecture anglaise tout entière a été transformée depuis que ces livres ont paru et en partie par leurs conseils. De pseudo-grecque qu’elle était, elle est devenue d’un gothique sobre, d’une teinte riante, d’une variété pittoresque. En particulier, les architectes du Museum d’Oxford, sir Thomas Dean et M. Woodward, se sont conformés aux préceptes de Ruskin. Ils ont permis à leurs ouvriers d’imaginer eux-mêmes les détails de l’ornementation, de décorer à leur guise les chapiteaux et les tympans, et l’on y voit maintenant à la place de l’acanthe classique et découpée pour ainsi dire à l’emporte-pièce, des fougères anglaises, qui révèlent toute l’inexpérience, mais toute la liberté naïve du tailleur de pierres. C’est à Oxford aussi qu’un groupe de jeunes artistes enthousiastes tentèrent, sous la direction de Ruskin, la décoration à fresque de la bibliothèque de l’Union Debating club. Le temps a effacé depuis ces essais faits dans de mauvaises conditions matérielles, mais ce n’est pas vainement que le maître des Lois de Fiesole anima de son feu sacré des hommes comme Dante Rossetti, Morris, Munro, Millais, Hunt, Woolner, Prinsep et Burne Jones. Ceux d’entre eux qui n’étaient pas connus alors ont fait depuis assez bonne figure et les teintes d’enthousiasme jetées ce jour-là sur leurs âmes par Ruskin ont duré plus que les couleurs étendues sur les murs de l’Union Debating club.
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