eau tranquille et non brûlante sont d’une autre espèce… » — Sa foi, il croyait la posséder encore, sinon telle qu’il l’avait puisée dans la lecture des Psaumes sous les groseilliers de Herne Hill, du moins telle que son admiration pour Georges Herbert et les Vaudois l’avait faite. Il se rappelait bien qu’un dimanche, à Gap, il avait « rompu le sabbat », en ascensionnant, après le service, dans les montagnes aimées. Et cette victoire de sa passion pour la nature sur ses devoirs religieux lui était demeurée un souvenir cruel. Douze ans après, il avait osé dessiner le dimanche. Puis le dégoût des étroitesses des sectes, qu’on lui avait appris à aimer, la vue de plus en plus nette des beautés esthétiques du catholicisme qu’on lui avait appris à abhorrer, les doutes que la science sème sur nos chemins à tous, l’avaient plongé dans cette incertitude que Mallock, son disciple, a dépeinte dans sa New Republic : Suis-je un croyant ? Non, car je suis un sceptique, aussi. Autrefois je pouvais prier chaque matin et j’allais à mon travail de la journée, raffermi et réconforté. Mais maintenant je ne peux plus prier. Vous avez emporté mon Seigneur et je ne sais où vous l’avez mis… » C’est au plus dur moment de cette torture incessante, mais inavouée, que par un étrange hasard, l’amour vint le forcer à voir clair en lui-même et à faire de sa franchise l’usage qu’il redoutait le plus. Il était à Oxford. Une jeune femme pour laquelle son attachement était connu et qui passait même pour sa fiancée, se mourait. Elle avait des sentimens religieux qui s’étaient réveillés durant les dernières années de son existence et, depuis longtemps déjà, elle ne voulait plus songer au mariage projeté avec « l’incrédule ». Il demanda à la revoir. Mourante, elle lui fit faire à son tour cette question : « Êtes-vous au moins encore assez croyant pour dire que vous aimez Dieu plus que moi ? » — Il regarda attentivement à l’horizon de sa pensée. Comme le marin durant une traversée obscure, il ne voyait briller aucun feu de salut, ni sur les rives du Presbytérianisme qu’il venait de quitter, ni sur celle du « Christianisme catholique »[1] où il allait aborder quelques années plus tard. Loyalement, héroïquement, il répondit : Non ! Et la porte resta fermée sur lui.
L’homme qui se dénonce à lui-même si franchement ses propres faiblesses n’hésite pas à se réjouir de son œuvre quand il la croit bonne. Et c’est encore de la modestie, sinon comme l’entend l’hypocrisie mondaine, du moins comme on peut l’entendre avec lui. Pour Ruskin, en effet :
- ↑ Dans le sens le plus large. Il est évident qu’il ne s’agit pas ici de l’Église catholique romaine.