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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/592

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texte était que les fraises doivent être mûres et douces, que là était un critérium qu’on pouvait appliquer aux qualités de chaque détail de la vie, et ce critérium, avec une certaine malice gracieuse, hospitalière, spirituelle, impitoyable, il commença de l’appliquer à une chose, à une personne et à une autre, aux toilettes, aux alimens, aux livres… »

Ce grand charmeur a déjà ses légendes. On dit qu’un jour, étant entré par hasard chez un joaillier, à Londres, il fut reconnu et qu’on étala devant lui toutes les pierres précieuses en le priant d’en révéler les mystères. Alors debout, au milieu des acheteuses attentives, l’auteur de Deucalion parla. Il parla avec la science du nain qui ravit l’or du Rhin, mais avec le charme des ondines qui le gardaient. Il dit et le secret du rubis — en héraldique gueules — qui n’est autre chose que la rose persane, couleur d’amour, de joie et de vie sur la terre, empruntant son éclat à la fleur dont le bouton servit de modèle à l’alabastre de parfum versé par Madeleine aux pieds du Sauveur ; et le secret du saphir — en héraldique azur — qui est le type de l’amour et de la joie dans le ciel, même pierre que le rubis, mais autre couleur : « sous ses pieds était une plinthe de saphir » dit l’Écriture ; et le secret de la perle, qui est la soumission de la lumière, symbole de la patience, couleur de la colombe qui apporte la nouvelle que les eaux sont soumises — la Marguerite, en héraldique normande — le gris, couleur inférieure en blason, mais d’un grand prix, car l’humilité ouvre les portes du paradis et l’on a dit que les murs en étaient de jaspe, mais que chaque porte était formée d’une perle. Il conta leurs naissances obscures et lentes au sein de la terre ou des mers, puis se tournant vers les belles mondaines, il leur dit quelque chose comme ceci : « Est-ce sensé de mettre nos affections en ces pierres, de les aimer, de les tenir pour précieuses ? Oui, certainement, pourvu que ce soient elles que nous aimions et que nous tenions pour précieuses, elles et non nous-mêmes. Adorer une pierre noire parce qu’elle est tombée du ciel peut ne pas être tout à fait sage, mais c’est à mi-chemin de la sagesse, qui est d’adorer le ciel même. Il n’est pas tout à fait fou de penser que les pierres voient, mais il l’est tout à fait de penser que les yeux ne voient pas. Il n’est pas tout à fait fou de penser que le jour où l’on réunira les joyaux, les murs du palais seront maçonnés de vie sur eux comme sur leur pierre angulaire, mais il est fou de croire que le jour de la dissolution, les âmes, du globe tomberont en poussière, avec l’émeraude, et qu’aucune spiritualité ne restera, impavide, sur les ruines. Oui, belles dames, aimez les bijoux et prenez soin d’eux, mais aimez vos