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Au fond, le radical est devenu l’opportuniste du socialisme : il lui prépare les voies, pallie ses violences et répare ses fautes, cherche dans son programme ce qu’il peut faire passer, et s’applique à découvrir les idées communes. Il n’adopte pas tous les articles de foi du socialisme, mais il y conduit tout doucement l’électeur. Passons en revue son programme. Que fait-il de la propriété ? Il n’ose l’abolir, mais il en limite les droits ; il borne l’héritage aux plus proches degrés, multipliant les cas où l’Etat hérite ; il élève les droits de succession en les transformant en une confiscation partielle.

La fortune mobilière est l’ennemie que partout il poursuit. La société anonyme est l’objet de ses défiances : le membre d’un conseil d’administration doit être frappé d’incapacité politique ; la Banque de France, sans laquelle notre crédit national eût sombré en 1871, doit être détruite au profit d’une banque d’Etat ; on doit racheter les chemins de fer, dont les réseaux fortement constitués ont offert aux petits capitaux un placement sûr et aux transports une bienfaisante régularité. Telle est la haine du radicalisme contre le capital, qu’il en poursuit la formation jusque dans ses germes, en manifestant le dédain de toute épargne.

Les projets de destruction ne sont rien auprès des illusions qu’il répand. Lui aussi promet à la fois le maintien des salaires, l’allégement du travail. N’étudiant ni les prix de revient, ni le cours des marchandises, niant les lois économiques quand elles l’embarrassent, supprimant les frontières quand elles gênent ses calculs, mêlant, suivant la tradition jacobine, la haine des rois à l’alliance des nations, mettant en interdit les facultés de production d’un peuple au profit de je ne sais quelle loi supérieure qui fixerait, suivant un tarif uniforme, les prix et les besoins, le radical dispose les résultats suivant son imagination, sans se soucier des statistiques, des chiffres et des budgets.

Il ne s’arrête jamais devant un calcul arithmétique ; ayant à tout propos le mot de science à la bouche, il paraît ignorer que toute science qui se respecte découle de l’observation des faits ; il méprise comme une objection sortie d’un esprit vulgaire tous les chiffres. Il promet à tous les vieillards une pension, à tous les ouvriers à 55 ans une retraite sur le budget de l’Etat, sans mesurer les ressources. L’Etat apparaîtrait, suivant lui, du berceau à la tombe, comme le banquier universel, qui dispense ses bienfaits, élève l’enfant, soutient l’adulte, nourrit le vieillard et joue le rôle d’une sorte de Providence laïque.

C’est le budget, c’est-à-dire l’impôt, qui porterait en dernière analyse le poids de toutes ces expériences. Et quel moment choisit-on pour de telles aventures ? Qui ne sait où en est la fortune