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chimérique (ce qui est le plus sûr moyen de conquérir ses bonnes grâces), mais ne refusons pas de voir et de résoudre les difficultés que ne connaissaient pas nos pères. Toute une école vit du conflit entre le travail et le capital. C’est à nous, qui croyons fermement que la loi du progrès repose sur l’harmonie des intérêts, à préparer des lois sur la conciliation et sur les conseils d’usine, sur le contrat de travail et sur les grèves. Il faut que ces lois entretiennent l’accord, le rendent nécessaire et empêchent les querelles. Multiplier le contact, voilà le moyen de prévenir les malentendus, en montrant à l’homme aigri, qui oppose les noms de patrons et d’ouvriers, ce qu’est le cœur de l’homme, qu’il batte sous la redingote ou la blouse. La loi doit faciliter la création de tout groupe qui rapproche les classes : sociétés coopératives de consommation ou de construction, emploi sage d’une partie des fonds d’épargne, combinaisons de retraites, mutualités, voilà les instrumens perfectionnés qu’il faut mettre aux mains des travailleurs. Tout effort en vue d’une action précise, d’un progrès défini, améliore celui qui l’accomplit et apporte une force à la société.

« Réformes secondaires ! nous dira-t-on. Vous ne parlez pas des principales, de celles qui régleront le travail législatif, c’est-à-dire d’un changement du mécanisme parlementaire qui seul enfante l’impuissance ! » N’entendons-nous pas les plaintes d’un mauvais ouvrier qui accuse de tous ses échecs l’outil dont il dispose ? Le régime parlementaire ne donne que ce que lui envoie le corps électoral[1]. Il n’a pas la vertu de rendre de bonnes lois à un pays qui nomme pour les faire une majorité d’esprits médiocres. Tant que l’immense majorité des électeurs de France, qui veut un gouvernement sage, respectueux des droits, soucieux d’améliorer les lois, n’aura pas considéré que le premier de ses devoirs est de préparer les élections, d’agir et de voter, nous serons victimes d’une minorité remuante et agitée.

Le jour où une majorité courageuse conduite par des esprits résolus sera entrée au Parlement, une méthode de travail entièrement nouvelle devra être sur-le-champ adoptée. Le règlement de la Chambre, entièrement refondu, limitera exactement les questions à une formule imprimée d’avance, acceptée par le ministre, distribuée la veille et d’où le député ne pourra pas s’écarter ; formule très brève, suivie d’une réponse aussi courte, sans réplique ni transformation on interpellation. Il serait étrange que les Français ne pussent se contenter d’un système que le Parlement d’Angleterre a reconnu pratique. Les interpellations, qui sont très

  1. Voir les articles remarquables de M. Charles Benoist. Revue des 1er et 15 octobre 1895.