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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/630

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rête en face du buveur. « Eh ! Cisti, ton vin est donc bien exquis ? — À votre service, messire. »

Les ambassadeurs du pape ne se font point prier. On apporte un banc. Cisti commande à ses garçons de chercher quatre nouveaux verres et, lui-même, il sert le pur breuvage à ces hauts seigneurs. Chaque matin, il renouvelle « sa grande courtoisie ». À quelque temps de là, Geri donnait un grand festin aux principaux citoyens de Florence : il y invite Cisti, qui refuse modestement. Geri ordonne alors à son maître d’hôtel d’aller remplir chez le boulanger un fiasco, afin d’offrir à chacun de ses invités un verre à dessert du vin d’ambassadeurs. Le valet présente à Cisti une véritable futaille. L’autre hausse les épaules. « Va-t’en, ce n’est pas messire Geri qui t’envoie. » L’homme revient chez son maître, le fiasco vide. « Retourne, dit celui-ci, dis bien que tu viens de ma part et, s’il répond encore non, demande-lui alors où se peut-il que je t’envoie. » Nouveau refus de Cisti. « Non, mon garçon, ce n’est point messire Geri. — Et où croyez-vous donc qu’il m’ait commandé d’aller ? — À l’Arno. » Cette fois, Geri comprit, il voulut voir le fiasco et gourmanda son serviteur. Une troisième fois, il l’expédie à Cisti, mais avec une bouteille de taille raisonnable. « À la bonne heure, je sais maintenant de chez qui tu viens. » Il remplit la bouteille lietamente, avec une figure riante, et, le jour même, un petit tonneau qu’il fit porter tout doucement, soavemente, au palais Spina. Il accompagnait son présent et dit au seigneur : « Messire, votre grand fiasco ne me faisait point peur, mais j’ai cru que vous aviez oublié mes petits gobelets et que mon vin n’est point pour être bu à l’ordinaire. Je vous l’ai rappelé ce matin. Mais voici toute la provision, je vous la donne de bon cœur. » Et, dans la suite, le grand Guelfe et le grand boulanger demeurèrent toujours bons amis.

Cisti est un bourgeois fort digne de respect. Mais tous les Florentins du Décaméron ne méritent pas le même compliment. Dès qu’ils se sont jetés en quelque intrigue d’amour, ils trahissent sans scrupule, même leur meilleur ami, si cet ami est l’époux. Quant aux dames de Boccace, c’est avec génie qu’elles sont perfides. L’histoire de George Dandin est, sans doute, aussi vieille que le genre humain. Monna Ghita, femme de Tofano, riche marchand d’Arezzo, y ajoute quelques raffinemens de cruauté qui ne sont pas dans Molière. Tofano était jaloux d’instinct, et, de plus, il aimait à boire, deux raisons qui décidèrent bientôt Ghita à prendre un amant. Une nuit, Tofano tire les verrous de sa maison et attend, le nez à la fenêtre, le retour de sa moitié. Vers minuit, elle apparaît enfin ; le mari de douleur, il doloroso marito, refuse de lui ouvrir et menace de tout conter à ses beaux-parens