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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/631

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et aux voisins. Ghita supplie et jure de son innocence : elle est allée à la veillée dans le quartier, car, seule, elle s’ennuie trop au logis. Chansons ! répond l’impitoyable époux. « Eh bien, crie la femme, à qui l’amour avait aiguisé l’esprit, je me précipite dans le puits. On croira qu’étant ivre tu m’y as noyée, tu te sauveras en exil, proscrit par le bando, perdant tous tes biens, ou, si tu demeures, on te coupera la tête, comme à un assassin. » Une pierre énorme tombe au fond du puits. Et c’est alors la scène de Molière, la femme à la fenêtre, le mari à la porte, bien au frais et furieux. Nous n’avons pas encore à ce moment le couple de Sottenville. Mais aux cris de Ghita, accablant d’injures le malheureux, voisins et voisines ont sauté à bas du lit, et les voilà dans la rue, disant son fait à Tofano, plaignant l’épouse outragée ; l’aventure devient, sur l’heure, un scandale communal : « de proche en proche, la rumeur court jusqu’aux parens de Ghita », qui accourent, je pense en bonnet de nuit, et achèvent la confusion de leur gendre. Ils remmènent Ghita à sa chambre de jeune fille, et le pauvre homme, objet de la risée publique, obtient, non sans peine, qu’on lui rende sa femme à qui il fait le serment de n’être plus jaloux. Désormais, il ferma les yeux. Ghita ne lui demandait pas davantage.

Voici un imbroglio plus sérieux. Deux amans à la fois dans la maison conjugale et le mari qui rentre à l’improviste. Dans ce quadrille, qui promettait de tourner au tragique, madonna Isabetta, « jeune dame gentille et très belle », évolue avec un à-propos et une grâce sans pareils. C’est, bien entendu, à Florence, « ville où tous les biens abondent », que ceci est advenu. Isabetta, dont le mari — Boccace ne l’a pas nommé — était un gentilhomme fort honorable, aimait le jeune Leonetto, « très agréable et de mœurs aimables ». Un autre cavalier, messer Lambertuccio, « homme déplaisant et de fâcheuse humeur », de son côté s’éprend de la belle, et, par d’horribles menaces, triomphe de ses dédains. Isabetta passait alors l’été dans sa villa des champs, aux environs de Florence. Un jour, son mari monte à cheval, déclarant qu’il part pour un petit voyage dans la campagne. La dame s’empresse d’avertir par un billet Leonetto de l’heureuse circonstance. Le galant accourt. Mais Lambertuccio arrivait, lui aussi, par un autre chemin. La femme de chambre, toute troublée, annonce à sa maîtresse le malencontreux visiteur. « Fais-le monter », dit Isabetta, et, tandis que le cavalier attache dans la cour son palefroi au gond d’une fenêtre, elle cache Leonetto derrière les rideaux de son lit. Puis, prenant un visage joyeux, elle va recevoir Lambertuccio sur le palier de l’escalier. Mais bientôt, la suivante, épouvantée, reparaît : « Madame, messer revient !