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Voudrez-vous aussi remettre à la bonne six exemplaires du Roi s’amuse sur mon reste ?

Les notes sus-indiquées furent immédiatement données aux journaux d’opposition, qui les publièrent tous le 18 décembre au matin. Voici celle insérée au Courrier Français :


C’est décidément mercredi 19 à midi, que sera appelé,, devant le Tribunal de Commerce, le procès de M. Victor Hugo contre la Comédie-Française pour le Roi s’amuse. M. Odilon Barrot plaidera pour l’ouvrage si illégalement arrêté par le ministère. M. Victor Hugo compte prendre aussi la parole. Le succès de lecture que le drame obtient et la mesure arbitraire du gouvernement donnent à cette audience un grand intérêt de curiosité.

Ce devait être là la rédaction-type, ce journal étant le plus serviable de tous envers Hugo et son éditeur ; mais il suffisait d’y changer quelques mots pour dissimuler l’origine commune : on ne fera pas mieux soixante ans plus tard.

Une des dernières fois que Renduel passa par Paris, il dînait avec sa femme au restaurant Magny lorsque Gautier vint à entrer. Les deux amis, ravis de se revoir, entamèrent alors une longue causerie à bâtons rompus, parlant de leur jeune temps avec une volubilité extrême, évoquant à la file le souvenir de tant d’amis morts ou perdus dans la foule. « Vous souvient-il, dit tout à coup Gautier, qu’autrefois, chez Victor, le rôti était toujours brûlé ? — Certes oui, on l’attendait tandis qu’il s’oubliait chez Juliette. » Hugo demeurait alors au n° 6 de la place Royale (aujourd’hui place des Vosges), et la belle actrice de la Porte-Saint-Martin, tout auprès, rue du Pas-de-la-Mule (aujourd’hui rue des Vosges, entre la place des Vosges et le boulevard Beaumarchais). Ces dîners d’Hugo n’avaient rien de cérémonieux ; ils étaient le plus souvent improvisés pour prolonger la causerie commencée. Les convives étaient d’habitude quelques visiteurs retenus par la maîtresse de maison et qui se faisaient un devoir de rester par égard pour Mme Hugo, ainsi délaissée par son mari : celui-ci s’attardait souvent de deux heures, et le dîner reculait d’autant, Un jour que Renduel hésitait à rester, prévoyant le retard habituel et le jugeant trop long pour son estomac : « N’ayez pas peur, lui dit Mme Hugo pour le garder auprès d’elle ; le dîner sera exact ; Victor reviendra sûrement de bonne heure, il me l’a promis. » Renduel demeura : ce soir-là, on ne dîna qu’à neuf heures.

La liaison d’Hugo avec Juliette Drouet (de son vrai nom Julienne-Joséphine Gauvain) ne faisait alors que de commencer ; elle a duré, comme on sait, jusqu’au dernier jour, la maîtresse ayant complètement supplanté l’épouse auprès du poète et n’ayant