Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un fait est acquis : c’est la rentrée en scène du concert européen. Vieille conception bien démodée où les cabinets et les peuples n’en sont pas moins très heureux de trouver l’instrument le plus efficace d’une action énergique et la garantie la plus solide d’une action modérée. Cette question d’Orient était en train de glisser sur la pente au bas de laquelle s’ouvre l’abîme d’une grande guerre européenne. Elle est encore bien loin d’une solution satisfaisante. Toutefois elle a perdu quelque chose de sa gravité menaçante, depuis que l’Europe a repris pleinement conscience de sa solidarité. Il s’agit maintenant, à l’aide de cet outil puissant, d’obtenir à Constantinople le maximum d’effet utile avec le minimum de risques. Le monde aurait peine à pardonner à la diplomatie occidentale la surprise d’un nouveau Navarin.

S’il est permis de prendre au pied de la lettre la métaphore un peu usée du concert européen, il faut songer que de nos jours l’harmonie s’est compliquée et l’instrumentation s’est enrichie. Pour bien diriger le sextuor des puissances, il faut non pas un chef d’orchestre nerveux, passionné, personnel, — un Mottl politique, — mais un maître plein de force, de sérénité et de conscience, — quelque chose comme un Richter de la diplomatie. Guillaume II, l’autre jour, surprenait ses convives en saisissant le bâton de kapellmeister pour diriger lui-même une marche militaire. Il s’agit pour l’Europe, si fertile à cette heure en politiques-amateurs, de trouver un homme d’Etat de cet acabit. C’est à ce prix qu’est le règlement pacifique de la question arménienne, — c’est-à-dire la consolidation de la paix du monde.


FRANCIS DE PRESSENSE.