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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/696

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parc, rejeté vers le nord. La nature tentatrice est consignée à la porte de l’atelier intellectuel : cette conseillère de rêves distrairait de penser. L’écrivain le mieux qualifié pour parler de Coppet, le petit-fils de la duchesse de Broglie, a résumé dans un mot très juste l’âme abstraite du lieu : « Deux grandes allées droites, derniers vestiges d’un parterre à la française, disent que ce parc a été dessiné dans un temps où l’on ne regardait point autour de soi, et où l’on cherchait surtout dans la promenade le plaisir de la conversation à l’ombre. » Et M. d’Haussonville traduit aussi notre impression à tous, quand il ajoute : « Lorsque, les yeux encore éblouis ou charmés, on pénètre dans la cour intérieure, silencieuse et sombre, lorsqu’on franchit surtout le seuil de la maison dont quelques pièces conservent intacte l’empreinte du passé et semblent prêtes à recevoir leurs hôtes d’autrefois, on ne saurait refuser à cette vieille demeure, comme aux souvenirs qu’elle rappelle, le charme et la mélancolique grandeur des choses qui ne sont plus. » — Cette impression, Mme de Broglie l’a rendue dans une phrase définitive : « Il semble qu’on entende le bruit du temps à Coppet. »

On ne s’étonnera pas que le sentiment de la nature ait été peu développé chez une enfant sortie de cette maison, élevée par une mère qui disait à Fauriel : « Vous en êtes encore au préjugé de la campagne ! » Venue du pays de Rousseau, en pleine aurore du romantisme, la jeune femme voit la nature avec des yeux du XVIIe siècle. Rencontre-t-on dans ses lettres quelques brèves indications sur les lieux qu’elle habite ou parcourt, c’est encore la vision distraite et le style incolore des contemporaines de Louis XIV. Même retard de la sensibilité pittoresque, même survivance de l’indifférence du grand siècle chez les remueurs d’idées qui entourent Mme de Broglie, chez les correspondans affairés de M. de Barante. Un mot est significatif, dans une lettre de la duchesse écrite de Fribourg : elle admire le pont aérien, elle pense à M. Guizot : « M. Guizot triompherait ici, car vraiment l’homme a l’air d’avoir mis le grapin sur la nature. » — Le coup de volonté de l’homme, c’est bien ce qui frapperait M. Guizot dans un paysage ; et ce qui aurait frappé Bossuet, s’il eût vu le pont de Fribourg. — Comme ses guides intellectuels, Mme de Broglie réservera toutes les curiosités de son regard pour la société ; jusqu’au moment prochain où elle se repliera dans son âme.

La société l’attendait à Paris. Jetée d’emblée dans la compagnie sévère des amis politiques de son mari, elle ne se mêla que très modérément au mouvement mondain des premières années de la Restauration. Elle était pourtant au bal costumé de Mme