Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

biens, et la majorité traite comme une chose, comme sa chose, de par le droit du plus fort et le titre seigneurial du nombre, la minorité qui souvent, pourtant, est presque son égale en nombre.

Et notez qu’avec ce prétendu système de la majorité pure et simple, c’est là le moindre mal, qu’il n’y ait que la moitié, plus un, des électeurs représentés ; que la législation soit l’œuvre exclusive des représentans de la moitié, plus un ; que la moitié, plus un, des citoyens détienne tout le pouvoir et que seulement la moitié, plus un, vive toute la vie de la nation. Le mal pourrait être plus grand : et ce serait que la majorité, dans les corps élus, ne fût qu’une majorité apparente, ne correspondît pas à la majorité réelle du « corps » électoral. Ce serait que, d’erreur en erreur et de déformation en déformation, on en vînt à ce que la majorité du Parlement ne représentât en vérité qu’une minorité d’électeurs.

Mais que dit-on : le plus grand mal serait qu’on en arrivât à ce point ? Il y a longtemps que nous y sommes. La Chambre de 1889, celle de 1885 et déjà celle de 1881 — pour ne pas retourner plus haut ni descendre plus bas — ne représentaient sûrement qu’une minorité ; et même une minorité assez faible, si l’on ajoute, comme on le doit, aux électeurs battus dans le scrutin et par conséquent non représentés, les abstentionnistes de toute espèce, volontaires ou involontaires, dont le nombre, toujours croissant, est successivement monté au quart, au tiers, et jusqu’à la moitié du nombre des inscrits. De telle façon qu’en y regardant bien, cette majorité de bric-à-brac, qui s’étale à la Chambre, n’a pas de majorité derrière elle ; c’est la façade en toile peinte d’une maison de théâtre ; c’est non pas l’image, mais le mirage d’un pays qui n’existe pas. Il s’ensuit naturellement que la législation, quoique élaborée suivant l’ordre par la majorité parlementaire, est, au total, faite sans la majorité du pays et parfois contre elle ; que, bien que ce soit la majorité du Parlement, ce n’en est pas moins la minorité du pays qui détient tout le pouvoir ; et que, bien que ce soit encore dans le Parlement la majorité, c’est dans le pays une minorité qui accapare, absorbe et brûle toute la vie de la nation, puisque, on ne sait à cause de quel phénomène de grossissement, on s’y laisse prendre et l’on ne s’aperçoit pas que cette majorité d’élus ne représente qu’une minorité d’électeurs.

Et le résultat ? En premier lieu, c’est que, sous un pareil régime, l’acte, le fait contredit sans cesse le principe. Et l’on ne parle pas même du principe abstrait et inflexiblement logique en vertu duquel la loi, dans les démocraties, devrait être l’œuvre de tous ou des représentans de tous, mais du principe accommodé aux choses et assoupli par la pratique, aux termes duquel la loi