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devrait être l’œuvre de la majorité des citoyens, ou des représentons de leur majorité. Cela, c’est le principe, et l’acte, le fait est en contradiction de chaque heure avec lui, si bien que le régime actuel n’est que trompe-l’œil et fiction. Le résultat, en second lieu, c’est que, le fait ou l’acte étant en contradiction avec le principe, le pays est en opposition avec le parlement, et les soi-disant représentans avec ceux qu’on dit représentés ; — d’où notre extrême indifférence en matière de politique, et ce grand vide autour des Chambres.

Encore ne s’en tient-on peut-être à l’indifférence et ne se borne-t-on à faire le vide autour des Chambres que parce que, chez nous, l’opposition entre le pays et le parlement n’a pas d’autre moyen de s’exprimer ; on veut dire : d’autre moyen légal, pacifique, non révolutionnaire. Mais tout près de nous, en Suisse, où le même procédé électoral engendre les mêmes abus, le référendum et l’initiative populaire fournissent ce moyen que nous n’avons pas : l’opposition entre le parlement et le pays s’y accuse donc et s’affirme de vote en vote, elle est criante et criée, à chaque plébiscite, par les milliers de voix qui défont ce qu’avaient fait quelques voix dans les Chambres. Et l’on peut ensuite admirer, pour peu que l’on en garde l’envie, avec quelle fidélité ceci représente cela, en attendant que cela démente et désavoue ceci !

C’est, en définitive, sur ces griefs, dûment fondés et établis, que s’appuient les amis de la représentation proportionnelle, et elle en a dans tous les partis, le système barbare de la moitié plus un frappant aveuglément, et tour à tour, tous les partis. Si tel est ce système — et il faut reconnaître qu’il est tel, en effet — il est faux et injuste, disent-ils, faux et injuste autant de fois que la moitié des électeurs plus un a de représentans en trop et que l’autre moitié a de représentans en moins. Privilégier, combler de la sorte une moitié et sacrifier l’autre, est-ce de bonne politique ? Tout remettre à une moitié, rien à l’autre, est-ce de bonne arithmétique ? Est-ce une proportion exacte et loyale ?

Et ils continuent : mais si cette proportion est mauvaise, et si cette arithmétique n’est pas vraie, et si cette politique n’est pas juste, il doit y avoir, cependant, une politique plus juste, qui sera d’une arithmétique plus vraie, prouvée par une proportion plus exacte, et donnant une répartition plus satisfaisante de la représentation et du pouvoir. On voit comment, partant de la fausseté et de l’injustice du système de la moitié plus un, beaucoup de ceux qui souffrent de cette répartition menteuse, ont été amenés à chercher, dans les calculs ingénieux de la représentation proportionnelle, la justice et la vérité ; comme si de faire, aux élections, de bonne arithmétique, ce serait de toute nécessité, sans méprise