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que le dépouillement du scrutin. Elle ne ferait pas des groupes d’hommes et des groupemens de forces ; elle ne ferait que des paquets de bulletins.

Or, ce qu’il faut organiser, et, cette fois, dans la plénitude du sens, c’est le corps électoral lui-même, c’est le suffrage universel en soi. Il faut l’organiser pour le bien de l’individu et poulie bien de l’État, en vue de cette triple fin : la représentation, la législation, le gouvernement ; de manière que le gouvernement soit le plus stable, la législation la plus éclairée, la représentation la plus fidèle qu’il est possible — fidèle et compréhensive : qu’elle enferme le plus possible de l’homme et de la vie, qu’elle soit proportionnelle non seulement aux opinions qui ne sont de nous qu’une minime partie, mais à tout ce qui est, en nous, humanité, vie et force sociale.

Généralement, à la représentation proportionnelle des opinions, c’est la représentation des intérêts que l’on oppose ou que l’on préfère ; et il n’est pas niable que l’intérêt soit plus tangible, moins versatile, plus saisissable que l’opinion, et que l’intérêt meuve bien des hommes que l’opinion n’émeut pas. Mais ce n’est encore qu’une partie de nous-mêmes ; un régime représentatif fondé exclusivement sur l’opinion serait exclusivement politique ; exclusivement fondé sur l’intérêt, il serait exclusivement économique, tandis que la représentation, dans l’État moderne, doit être tout ensemble politique et économique ; d’où il suit que, s’il se peut, elle doit être fondée tout ensemble sur l’opinion et l’intérêt, être proportionnelle tout ensemble aux opinions et aux intérêts, et, ainsi, contenir davantage de l’homme, de la vie, de la nation et de la société.

Et généralement aussi, l’on distingue deux phases dans l’histoire du régime représentatif : l’ancienne, presque partout entrée dans le passé, où c’était le groupe qui était représenté, comme les comtés et les bourgs d’Angleterre, ou les villes de l’Empire, ou les États chez nous ; l’autre, nous y sommes à présent, où, comme en France, depuis la Révolution, c’est l’individu, qui est représenté, lui seul, abstrait de tout ce qui l’entoure et jeté, en quelque sorte, hors de sa propre vie. Mais ne peut-on pas concevoir une troisième phrase, définitive ou plus durable, où l’individu compterait et où le groupe compterait, où serait représenté l’individu dans le groupe ? Et, si l’on peut concevoir un pareil régime, est-il impossible de le réaliser ?

Nous ne croyons ni que ce soit impossible ni que ce soit au-dessus de ce que l’on peut raisonnablement entreprendre, et dès aujourd’hui pour demain. Nous savons ce qu’il faut chercher et où il faut chercher : la vie dans la vie et l’organisation du suffrage