ainsi, ce n’est pas, qu’on le croie bien, que je veuille me prêter la belle position d’un homme entièrement né pour les arts et qui doit risquer cette carrière à tout prix. Non certes, je ne prétends pas à un tel honneur ; mais je crois qu’un homme qui ne saura pas préférer au simple bonheur de l’aisance, le bonheur d’un savoir qui peut quelquefois ensuite lui procurer l’aisance, je crois, dis-je, que celui-là ne serait pas fait pour embrasser la carrière des arts. Nous voyons qu’Achille préférait la gloire, à une longue vie passée sans se couvrir d’un nom glorieux. Pourquoi ne pourrait-on pas préférer la gloire des arts à une position que l’argent seul rendrait brillante ?…
Quelqu’un a dit que la musique peut calmer les cœurs les plus farouches, toucher les plus insensibles ; je n’en suis pas étonné. À mes yeux, un homme qui ne sent pas les charmes de la musique perd, sous le rapport des sentiments, du cœur ; non pas que pour cela il ne puisse pas être bon ; non sans doute, l’un n’entraîne pas l’autre. Mais un homme qui se laisse toucher par une belle mélodie qui lui parle dans le fond de l’âme, ne gagne pas peu à mes yeux. Car je ne vois rien de plus imposant ni de plus touchant qu’une belle création musicale. Pour moi la musique est une compagne si douce, qu’on me retirerait un bien grand bonheur si on m’empêchait de la sentir. Oh ! qu’on est heureux de comprendre ce langage divin ! C’est un trésor que je ne donnerais pas pour bien d’autres ; c’est une jouissance qui, je l’espère, remplira tous les moments de ma vie.
Mme Gounod mère, était excellente musicienne ; elle comprit cette lettre d’enfant. Mais elle était sage, et elle résolut d’attendre. Peu de jours après, le collégien était cité devant le proviseur averti. Gounod lui-même a raconté[1] cette entrevue décisive, l’épreuve à laquelle il fut soumis et dont il sortit vainqueur. Il s’agissait de composer un air sur les paroles de Joseph : « A peine au sortir de l’enfance. » En moins d’une heure, l’écolier qui ne connaissait pas la romance de Méhul, avait écrit la sienne. Elle était si jolie, qu’à l’entendre le proviseur non seulement s’émerveilla, mais s’attendrit. Quand le petit garçon eut fini de chanter, le proviseur pleurait, et prenant dans ses mains le jeune front prédestiné : « Allez, dit-il, allez mon enfant, et faites de la musique. »
L’enfant en fit désormais, sans toutefois cesser encore de faire autre chose. Mme Gounod exigea qu’il achevât ses études classiques. Un soir elle le conduisit aux Italiens. On n’y jouait plus Otello cette fois, mais Don Juan, ce Don Juan qu’il devait tant aimer. L’ouverture était à peine terminée que l’enfant laissa tomber sa tête sur l’épaule de sa mère en murmurant : « Oh ! maman, cela c’est vraiment la musique ![2] » Confié d’abord à Reicha, puis à Halévy et à Berton, Gounod obtint le prix de Rome en1839. Il partit aussitôt pour l’Italie, et dès qu’il la connut il l’aima. À peine arrivé à la villa Médicis, il sentit s’insinuer en lui la paix la grande paix romaine. La ville sans pareille lui dit ce que dit