musique, parce que seule elle est sa propre fin, parce que seule elle demeure tandis que tout le reste passe ; de ce retour aucun musicien peut-être depuis Mozart n’aima plus que Gounod et ne fit plus aimer la suprême douceur. Toute mélodie du maître semble accomplir ou du moins imiter une destinée humaine. Après avoir grandi, vécu dans l’ardeur et la passion, c’est dans le calme, dans la sérénité qu’elle finit et meurt. Ainsi elle est belle deux fois ; elle réalise un double idéal et comble en nous un double désir : celui de l’émotion et celui de la vérité.
La vie même de Gounod fut semblable à l’un de ses chants. Son âme, qui jadis avait été de feu, finit par n’être plus qu’une aime de lumière. La paix y était descendue. Il ne composait plus guère. Si par hasard il prenait encore la plume, c’était pour écrire, non plus des pauvres passionnées, mais des œuvres contemplatives : des messes de style palestrinien, où volontairement il se renonçait lui-même et tâchait de fondre sa personnalité dans celle du grand artiste pieux. Je me souviens aussi d’un hymne à la nuit, l’une de ses dernières inspirations, plus calme encore peut-être et plus auguste que le Soir. Un jour, peu de temps avant Sa mort, un jour qu’il me chantait ce chant, je crus voir son œuvre entière passer devant moi. Je la vis aboutir, l’œuvre de passion et d’amour, à cette mélodie sereine, à ces consonances inaltérées, et je compris alors que dans le génie du maître et dans son âme s’était accomplie harmonieusement une profonde parole d’Amiel : « Aime et reste d’accord. »
CAMILLE BELLAIGUE