Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à quoi l’intelligence n’est-elle pas à la fois nécessaire et suffisante ? N’est-ce pas elle qui a composé la Chapelle Sixtine, Don Juan, Jocelyn, le Discours de la Méthode, le Système des Mondes ? Il faut donc préciser davantage : les deux qualités de l’intelligence indispensables pour écrire dignement et utilement l’histoire dont la souplesse et la bienveillance. La souplesse identifie aux situations les plus diverses, la bienveillance, aux caractères les plus compliqués. Sans souplesse, l’historien ne comprend pas les évènemens, et il les défigure ; sans bienveillance, il peint mal les caractères ou il les calomnie. Qui ne sait sortir de soi, de ses préférences, de ses antipathies, de ses systèmes, ne pénètre pas les autres et ne saisit pas le secret des choses. Aussi l’esprit de parti, qui procède avec la roideur de la haine, rend absolument incapable d’écrire une véridique histoire. Poussé à son degré supérieur, il donne Tacite et Victor Hugo, — égaux par le génie et pas l’iniquité.

N’ayant jamais été possédé de cet esprit, je n’aurai nulle peine à juger Napoléon III. J’ai souvent attaqué ses actes, alors qu’il y avait quelque courage à s’y risquer. Républicain, en vue d’obtenir des réformes sociales et populaires, — la liberté des coalitions, du travail, des associations, des réunions, — j’ai conclu avec lui un pacte transactionnel, tel que celui établi avec Victor-Emmanuel, dans l’intérêt de l’unité italienne, par le républicain Manin et ses amis, et, à certains momens, par Garibaldi et Mazzini. J’ai pu, comme son ministre principal, l’approcher, causer avec lui, le voir agir au milieu des circonstances les plus pathétiques. Depuis, renversé neuf jours après le début des hostilités, j’ai assisté, en spectateur impuissant et désespéré, à son effondrement, qui a été celui de la patrie ; il m’a honoré de son amitié jusqu’à son dernier jour. J’ai donc quelques titres pour parler de lui avec indépendance et justice, surtout avec bienveillance. Cependant, quoique le malheur et les outrages me l’aient rendu sacré, je ne lui sacrifierai ni les devoirs de la conscience, ni les droits de la vérité. Quand je m’y croirai obligé, je maintiendrai mes anciennes critiques, mais en mettant en lumière, plus que je ne l’ai fait aux temps où cela eût paru de l’adulation, ce que, jusque dans les défaillances, a eu d’intelligent, de loyal, de patriotique, de généreux, la conduite d’un chef d’État dont le mobile principal n’a cessé d’être la passion du bien et de la grandeur.


II

Napoléon a eu raison de regretter le mariage avec Marie-Louise. Quelles qu’aient été les faiblesses de Josephine, ses légèretés