de coquetterie, ses maladresses de jalousie, elle était le porte-bonheur de sa destinée. Dès qu’il l’eut arrachée de sa vie, qu’à la captivante créole qui savait si bien seconder ses projets et consoler ses mécomptes par les caresses d’une voix habituée à aller à son cœur, il eut fait succéder l’indifférente Autrichienne, poupée sensuelle, incapable de le conseiller, ni même d’écouter ses confidences ; dès que les glaces de l’ambition eurent éteint les jeunes souvenirs ; dès qu’il eut commis la cruauté de traîner les enfans derrière la marche triomphale de celle qui venait prendre la place de la mère ; dès qu’il eut conçu le rêve de se constituer un avenir de Charlemagne dans les splendeurs duquel s’éteindraient toutes les lueurs de son passé de Bonaparte ; dès qu’il en fut venu à être plus fier d’avoir obtenu la fille insignifiante d’un César imbécile que de s’être fait lui-même un César sans rival, la Providence se retire de lui et l’abandonne à l’emportement de ses desseins démesurés. Impassible, elle le laisse s’engouffrer en des aventures grandioses comme son génie, mais auxquelles le premier Consul ne se fût pas risqué. Elle ne lui refuse pas le fils tant désiré, mais quand elle décrète de relever la fortune des Napoléon, elle ne confie pas cette mission à l’étrangère qui a oublié Sainte-Hélène aux bras d’un soudard borgne ; elle la réserve au petit-fils de l’épouse répudiée, de la Française qui mourut de douleur à la seule perspective de l’île d’Elbe.
Le 7 janvier 1802, le colonel Louis Bonaparte, troisième frère du premier Consul, épousait Hortense de Beauharnais[1], fille de Joséphine. Jamais union ne fut plus mal assortie. Louis était loin d’être sans valeur, « chaleur, esprit, santé, talent, commerce exact, bonté, il réunit tout, dit de lui son grand frère ; pas d’homme plus actif, plus adroit, plus insinuant. » Les succès de son aîné, loin de le griser ou de le piquer d’émulation, l’avaient dégoûté de la gloire « qu’on n’acquiert qu’au prix de choses trop pénibles et même incompatibles avec un cœur sensible. » Au milieu des ambitions en émoi, il demeurait calme, silencieux, modeste, ennemi du bruit, de la pompe et, quoique très brave, déclarait la guerre une barbarie organisée. Enthousiaste de Jean-Jacques Rousseau, ami de Bernardin de Saint-Pierre, il préférait les lettres aux affaires. Une maladie précoce, des rhumatismes qui l’empêchaient le se mouvoir et de se servir de l’une de ses mains, à laquelle on était obligé d’attacher une plume afin qu’il pût signer, altérèrent son humeur, le rendirent quinteux, susceptible, tatillon, amer, fort désagréable, malgré ses qualités, à ceux qui l’entouraient.
- ↑ Née le 10 avril 1783.