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main autrichienne le fils qui lui restait et le conduisit en France, bravant la loi de proscription.

Le prince Louis, que la mort de son frère avait plongé dans un morne accablement, se sentit renaître en touchant le sol natal. Il traversa la France à petits pas, savourant la douceur de respirer l’air de la patrie, d’entendre la langue bien-aimée. Sa mère le conduisit à Fontainebleau voir les fonts baptismaux sur lesquels il avait été tenu. La pensée qu’il serait obligé de quitter le beau et cher pays retrouvé lui devint si cruelle que, malgré les remontrances sur l’inutilité de la démarche, il rédigea une lettre au roi par laquelle il le priait de lui permettre de servir comme soldat.

À Paris, ils se logèrent rue de la Paix, à l’hôtel de Hollande, d’où ils apercevaient la colonne Vendôme et le boulevard. La reine se croyait des droits à la bienveillance royale. N’avait-elle pas contribué en 1815 à obtenir à la mère de Louis-Philippe une pension de 400 000 francs et une de 200 000 francs à sa tante, la duchesse de Bourbon, mère du duc d’Enghien ? C’est donc avec sécurité qu’elle fit prévenir un officier d’ordonnance de la confiance du roi, M. d’Houdetot.

Le premier mouvement de Louis-Philippe — et c’était fort naturel — fut la contrariété. Dans l’excitation actuelle des esprits, alors qu’à presque toutes les vitrines s’étalaient les portraits des Napoléon, l’arrivée d’Hortense accroissait ses difficultés. Louis-Philippe avertit immédiatement Casimir-Perier, son premier ministre. Celui-ci se rendit auprès de l’ancienne reine. D’abord sec et dur, il s’adoucit, sur l’assurance qu’elle se proposait uniquement de traverser la France pour gagner Londres et ensuite Arenenberg. Le lendemain M. d’Houdetot vint prendre Hortense de la part du roi rassuré, et la conduisit mystérieusement au Palais-Royal, dans sa petite chambre de service, meublée d’un lit et de deux chaises. Le roi y vint aussitôt, se montra poli, aimable, bienveillant, presque affectueux. « Il connaissait les douleurs de l’exil, et si cela ne dépendait que de lui, il les épargnerait aux autres : il espérait que le temps viendrait bientôt qu’il n’y aurait plus d’exilés sous son règne ». Il recommanda à la reine de tenir sa présence secrète, exprima le désir de lui rendre service. Il savait qu’elle avait des revendications à exercer ; il comprenait les affaires et s’offrait à être son homme d’affaires auprès de ses ministres. Puis il fit chercher sa femme et sa sueur et ne les laissa un instant avec la visiteuse que pour revenir bientôt. Alors, les deux reines assises sur le lit, le roi et Madame Adélaïde sur les deux chaises, d’Houdetot debout derrière la porte afin d’empêcher qu’on l’ouvrît, se noua une longue conversation sympathique,